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rapprendre. Puisse seulement notre aversion pour le surmenage ne pas dégénérer en une crainte superstitieuse de tout effort sérieux ! Le vrai travail sera toujours une souffrance, et si le cricket et le football sont bons pour se faire des muscles, il y a une sorte d’ascétisme nécessaire à la santé de l’esprit. « Combien de jeunes gens, a dit un Anglais, gâchent leurs facultés en abusant des sports et se rendent incapables de tout effort de l’intelligence par l’abus de l’entraînement du corps ! »

C’est une règle de la pédagogie anglaise que « nul ne doit gouverner les enfans s’il ne les instruit. » Point de maîtres d’études, ils sont remplacés par des maîtres enseignans qui, sous le nom de tutors, logent chez eux de 30 à 40 écoliers et s’engagent à travailler à leur éducation. Quarante enfans, c’est beaucoup : il est déjà si difficile d’en élever un ! Le tutor est assisté par les moniteurs, qui se recrutent parmi les élèves les plus âgés, les plus sages, les plus méritans et à qui on confie la mission de faire observer la discipline. Je ne crois guère à l’utilité des moniteurs. J’ai fait connaissance avec eux dans le collège où j’ai commencé mes études : un ou deux remplissaient leur tâche en conscience ; les autres étaient préoccupés d’acquérir les bonnes grâces de leurs condisciples par leurs complaisances ou la faveur de leurs maîtres par des excès de zèle et d’inquisition policière.

La discipline anglaise, nous dit-on, est discrète : « Elle laisse du jeu à la responsabilité, fait appel chez l’enfant au respect de soi-même. » Cependant, comme elle le soupçonne de ne pas se respecter assez, de temps à autre elle lui donne le fouet. M. Leclerc nous apprend que dans le collège de Marlborough, les parens sont prévenus et qu’on porte à leur compte 1 shilling 6 pence pour les verges. À Eton, on ne les prévient pas ; mais M. Leclerc a vu une armoire qui contenait « une magnifique collection de verges souples et cinglantes, » et il nous assure qu’un Etonien qui n’a pas été fouetté est aussi rare qu’un soldat qui ne connaît pas la salle de police. Ce qui me paraît le plus remarquable, c’est qu’à Harrow le moniteur qui a dénoncé se charge de l’exécution. Il fait venir le délinquant dans sa chambre et le fustige par-devant témoins. Les moyens de discipline dont nous usons dans nos collèges ont leurs inconvéniens ; toutefois, avant de les abolir, il faudrait trouver dans toute l’étendue de la France un écolier capable de se laisser fouetter par un condisciple sans le haïr à mort ou sans se croire déshonoré. Ce n’est peut-être qu’un préjugé, mais il en est des questions d’honneur comme des goûts : on ne les discute pas.

Jusqu’au milieu de ce siècle, les Anglais eurent pour principe qu’en matière d’instruction publique l’État doit intervenir avec une extrême discrétion et sinon s’abstenir, du moins s’effacer, en laissant le gros de la besogne aux associations et à l’initiative privée. Les collèges, grammar schools, dont les plus célèbres et les plus riches portaient le nom de public schools, avaient été dotés par des princes ou des particuliers, et