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L’ÉDUCATION ET LA RÉFORME
DE
L’INSTRUCTION PUBLIQUE EN ANGLETERRE
D’APRÈS UNE PUBLICATION RÉCENTE

L’Anglais est de tous les hommes celui qui dans ses voyages a le plus de satisfactions d’amour-propre ; il trouve partout des gens disposés à croire à la supériorité de sa race et, la foi n’étant rien sans les œuvres, à lui témoigner par leurs déférences la haute idée qu’ils se font de lui. Il n’est pas de nation en Europe qui n’ait ses anglomanes ; convaincus de l’excellence particulière des mœurs, des usages, des institutions de l’Angleterre, ils attribuent aux mérites naturels ou acquis de l’Anglo-Saxon l’éclatante fortune de son pays, sans tenir compte de certains accidens de son histoire et du bonheur qu’il a d’habiter une île. J’ai connu un jeune Français, assez médiocre au demeurant, qui avait profité de quatre ou cinq années de séjour à Londres pour s’approprier de son mieux les airs de tête, les habitudes, les manières et jusqu’au slang d’un vrai gentleman. Durant un hiver qu’il passa à Nice et à Menton, il eut plus d’une fois l’insigne honneur d’être pris pour un Anglais par les garçons d’hôtel, et leur méprise lui procura les plus vives jouissances d’orgueil qu’il eût jamais ressenties. L’admiration est un bon sentiment, et il y a beaucoup de choses admirables chez nos voisins d’outre-Manche, mais les superstitions ont leurs dangers, et il est toujours fâcheux de sacrifier sa raison à ses idoles.

Ce qui contribue à donner du prestige à l’Anglais, c’est que, comme ses vertus, ses défauts sont des forces et que les défauts des autres peuples sont presque toujours des faiblesses. Otez à l’Espagnol son indolence d’hidalgo, à l’Allemand ses gros appétits, à l’Italien cet excès de finesse dont il est souvent la dupe, au Français sa déplorable habitude