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chaud, si roux, si beau ! » Pourquoi ? C’est que Lamartine avait raison, lorsque devant l’œuvre si saine de M. Mistral, il s’écriait : « Il y a une vertu dans le soleil ! » Aussi ne nous étonnerons-nous pas lorsque nous lirons dans le Renouveau (Nouvelun) des Filles d’Avignon : « La douleur me faisait félibre, maintenant c’est la joie »,


La doulour me fasié felibre, aro es la joio :

oui, la joie de vivre sous le beau soleil, et aussi celle de « s’ensoleiller aux rayons des beaux yeux ».


I rai de ti béus iue laisso-me souleia !


Dès lors la vraie muse du poète, c’est l’éternel féminin, même corrompu, comme il le confie à M. Maurice Faure :


Lou femelan superhe emai fugue pourri.


C’est ce femelan superbe qui trône dans les Filles d’Avignon, hymne continu et ardent à la beauté plastique et à l’amour sensuel, aux seins jumeaux de la Vénus d’Arles, double source de l’idéal d’amour et de beauté pour la race latine, et au corsage, au « boumbet redoun » de la Rouqueto, et des chatos d’Avignon au teint de rose-thé,


Front crema dóu soulèu et helli palinello ;


où le cri de la chair vraiment païen est vaguement tempéré çà et là par les accens d’un mysticisme tout chrétien — et par la peur du diable.

Si vous demandez à quelque félibre quel est le chef-d’œuvre d’Aubanel, d’ordinaire il vous cite et vous récite la Vénus d’Arles. La pièce est d’une belle venue, large et correcte, et d’un symbolisme assez éloquent. Le poète s’y adresse à la Vénus trouvée dans les ruines d’Arles :


Tu es belle, ô Vénus d’Arles, à faire devenir fou ! Ta tête est fière et douce et tendrement ton cou s’incline. Respirant les baisers et le rire, ta fraîche bouche en fleur qu’est-ce qu’elle va nous dire ?


Puis, après avoir détaillé les beautés de son idole, il s’écrie dans le transport de sa dévotion :


Venez, peuples, venez, à ses beaux seins jumeaux boire le lait de l’amour et de la beauté. Oh ! sans la beauté que serait le monde ? Luise tout ce qui est beau, se cache tout ce qui est laid ! Fais voir tes bras nus, tes flancs nus… La beauté te vêt mieux que ta robe blanche ; laisse tomber à tes pieds la robe qui à tes hanches s’enroule. Abandonne ton ventre aux baisers du soleil.


Et l’hymne s’achève dans cette action de grâces du Provençal :