sur le passage de « Monsieur Théodore », ou vous montrent d’un doigt espiègle, par la porte grande ouverte de sa chambre, le vieil oncle chanoine (lou vièi canounge), assoupi sur son fauteuil, non loin d’un flacon de Châteauneuf-des-Papes, le nez sur son Catulle, relié en cuir, à tranches rouges : tel Pétrarque quand on le trouva dormant son dernier sommeil sur l’Homère envoyé de Constantinople par Nicolas Siger. Cependant, là-haut, dans son appartement qu’assombrissent des vitraux et l’ombre portée par la haute église, parmi ses bibelots précieux, ses tableaux de vieux maîtres, ses ivoires religieux et ses bronzes effrontés, épaves du culte phallique, ramassées hier dans la poussière païenne de Provence, « Monsieur Théodore », étant de loisir, rime.
Puis, à la vêprée, on passera le pont suspendu, — sur lequel on ne peut fumer tant il est sec, au grand désespoir de M. Paul Arène qui en appelle aux arches de pierre encore debout du vieux pont de la chanson, — et on gagnera l’île de la Barth classe. En compagnie de Mistral monté de Maillane, de Roumanille descendu de Saint-Rémy, d’Anselme Mathieu nanti de quelques fioles authentiques de vin papal, de Félix Gras, nouvelle et précieuse recrue, le poète éloquent de Toloza et du Romancero, du docteur Pamard, du peintre Grivolas et d’autres bons et fins vivans d’Avignon, et peut-être d’Alphonse Daudet, échappé de Paris où on l’appelle Henri de la Barthelasse, et où il récite, dans les salons, des vers de la Mióugrano, on envahira quelque « cabaret d’honneur » comme disait Théophile, celui de Madec ou de Satragno. Là, dans un de ces bons « cagnards » que forment des demi-cercles de roseaux secs, tout au bord du Rhône tournoyant et bleu, sous l’ombrage clair des peupliers blancs, derrière le rempart de cyprès qui arquent leurs des robustes contre lou vent-terrau, tandis que plane là-haut le dôme du Ventour, ce Parnasse des félibres, s’installera l’Académie avignonnaise. Et le poète de la Mióugrano, nu-tête, les narines palpitant au vent, avec quelques rondelles de soleil dansant à travers la feuillée sur son crâne socratique, déclamera quelque hymne sonore à la beauté et à l’amour. Et les amis donneront la réplique, et le vin plus ou moins papal coulera, et les joyeux refrains alterneront avec les copieuses tirades et les bruyantes galéjades, jusqu’à l’heure où la lune — « qui sur les collines bleues, depuis un moment épie doucement comme une fiancée craintive » — se lève, entre le vague fantôme du Ventour et le raide squelette du palais des papes. Puis, en devisant gaîment, au risque même de troubler un peu par quelques derniers couplets le premier sommeil des bons bourgeois de la « capitale des félibres », on serpentera en s’égrenant jusqu’à la prochaine, très prochaine félibrée, à travers les ruelles « du gothique Avignon dont les