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celui des nymphes, des bois et des eaux, la Muse de la source de M. Hughes, l’Hirondelle de M. Charpentier, la Muse des bois de M. Albert Lefeuvre, la Naïade se mirant dans une fontaine, de M. Hercule, toutes aimables personnes dont nous avons déjà parlé naguère en les rencontrant pour la première fois femmes de plâtre alors, aujourd’hui femmes de marbre. Les plus fêtées d’entre elles ont été, cette année, la délicieuse Cigale de M. Marqueste, mélancoliquement assise sur une pierre, et la charmante Seine couchée de M. Puech. Ces deux morceaux, d’une facture savante, ressentie et complète, font grand honneur à notre école et prouvent que la délicatesse du goût, en fait de conceptions plastiques, s’y peut allier encore au plus vif sentiment de la beauté.

Au Champ de Mars, où les œuvres de sculpture sont peu nombreuses, on remarque pourtant, comme une figure plastique savamment menée, avec une recherche heureuse d’expression générale, la femme prosternée dans les blés, ou la Faute, par M. Saint-Marceaux. Toutefois, ce n’est pas de ce côté que se tournent la plupart des autres exposans, assez indifférens à la beauté et avant tout préoccupés de l’expression réelle, ou nouvelle ou étrange et qui manient dans cette intention, avec une hardiesse parfois curieuse et souvent inquiétante, le plâtre, le marbre ou le bronze. Un grand haut relief du sculpteur belge, M. Meunier, avec des ouvriers à l’ouvrage, est empreint d’une certaine grandeur simple et puissante. L’horrible figure de vieille décharnée par laquelle M. Desbois représente la Misère est exécutée avec une implacable précision qui atteste le talent de l’artiste et fait regretter de ne le voir pas s’employer autrement. La sculpture monumentale y est représentée par le J.-B. Colbert, de M. Aube pour la manufacture des Gobelins et par la statue équestre de M. Le Duc, le Connétable de Richmond, la sculpture d’expression ou d’étude par les œuvres de MM. Bartholomé, Michel-Malherbe, Escoula, Mulot, etc. Les bustes y sont relativement aussi nombreux qu’aux Champs-Elysées, mais nous ne saurions tenter une énumération de ceux qui, ici ou là, méritent quelque attention. Comme dans les portraits peints notre école, classique ou naturaliste, excelle assez souvent dans les portraits sculptés ; on voit parfois de très beaux bustes sortir des ateliers les plus modestes. Il suffit, pour un sculpteur qui sait son métier, d’avoir été ému quelques heures par le charme ou le caractère d’une physionomie vivante.


GEORGE LAFENESTRE.