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et l’ensemble de l’œuvre témoigne d’une réflexion suivie, d’une volonté énergique, d’une science sérieuse. Le héros, un jeune homme robuste et nu, blessé à mort, s’affaisse en arrière sur un monceau de pièces d’artillerie et d’armes en débris, tandis qu’une Gloire, cuirassée et casquée, descend, d’un vol rapide, vers lui, pour le soutenir et le couronner. La composition est un peu encombrée par les accessoires, mais les deux figures principales, exécutées avec soin et force, expriment clairement la pensée de l’artiste. Son œuvre d’ailleurs ne marquant point d’époque précise et se plaçant volontairement dans la catégorie des synthèses idéales, la présence simultanée des canons et d’une déesse costumée à la grecque, n’a rien qui nous puisse trop choquer. Il n’en est pas de même de l’apparition de la déesse guerrière, en style Louis XV, qui vient sanctionner le serment prononcé par le comte de Toulouse, Raymond VI, devant les consuls de la ville. La figure est aimable, comme une Minerve de Boucher ou de Natoire, elle n’en jure que plus singulièrement avec celle d’un chevalier du XIIe siècle, en cotte et chausses de mailles, dont le caractère moyen âge est justement et fortement accentué aussi bien dans la physionomie que dans le costume. Ce que la conscience d’un seigneur et d’un soldat de cette époque pouvait sentir flotter, à son côté, comme une surveillante céleste, c’était une sainte ou un saint, ce n’était point, à coup sûr, une déesse hellénique. Certains anachronismes matériels sont pardonnables sans doute à des artistes qui ne sont pas obligés d’être des archéologues et des érudits ; il n’en est pas de même des anachronismes moraux qui touchent au fond même des sujets et les rendent incompréhensibles ou ridicules. Les qualités d’exécution dont M. Labatut, comme d’habitude, a fait preuve dans ce groupe, n’en atténuent pas le bizarre effet.

En dehors de ces travaux d’un caractère monumental et de quelques figures funéraires dont les plus remarquables sont la Princesse Marie d’Orléans, étendue sur son lit de mort, ayant à son chevet sa statue de Jeanne d’Arc, et laissant échapper son ébauchoir, par M. Hector Lemaire et celle de la Duchesse de Vicence, restitution ingénieuse dans le style du premier Empire, par M. Boucher, la plupart des groupes et figures exposés ne sont que des études plastiques, pour lesquelles le sujet choisi n’est qu’un prétexte. Il faut faire exception, cependant, pour le groupe émouvant du Pardon, par M. Henri Dubois, dans lequel l’étude anatomique de deux corps nus, penchés l’un vers l’autre, celui du fils qui implore et celui du père qui pardonne, ne sert qu’à rendre plus saisissante l’expression d’un sentiment profond dans l’étreinte affectueuse des figures. L’étude ici devient de l’art, de l’art vivant et, mieux que de l’art moderne, de l’art éternel.