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à renouveler le fonds courant des banalités profanes ou sacrées, si indifférentes la plupart à la pensée moderne, où s’alimente à peu de frais l’inspiration quotidienne des ateliers et des écoles depuis plusieurs siècles !

Sur les mille ouvrages de sculpture qui sont exposés aux Champs-Elysées, combien en est-il de commandés ou d’exécutés pour un emplacement spécial en vue d’un effet expressif ou décoratif déterminé d’avance ? Une cinquantaine peut-être, et encore ! Reconnaissons que c’est bien peu. L’État, la ville de Paris, quelques municipalités provinciales, avec des ressources insuffisantes, Ont beau faire de leur mieux pour soutenir l’école par quelques commandes ; tant que les architectes et les propriétaires n’utiliseront pas, d’une façon plus générale et plus suivie, l’habileté de ces innombrables imagiers et tailleurs de pierre, il est clair que cette habileté se consumera et s’étiolera dans la redite inutile des mêmes lieux communs. Quand nous aurons examiné les Nubiens par M. Barrias et l’Homme et Serpent de M. Thomas pour le Muséum de Paris, le Raymond VI, comte de Toulouse, par M. Labatut pour le Capitole de Toulouse, le Monument de Pouyer-Quertier pour Rouen, par M. Guilloux, celui de Testelin, organisateur de la défense dans le Nord en 1870-1871, pour Lille, par M. Cordonnier, celui du Centenaire de la levée du siège pour Dunkerque, par M. Lormier, le groupe Au champ d’honneur par M. Carlès pour le parc de la Boissière, les modèles des Monumens d’Aubanel à Avignon et de Charles Chaplin aux Andelys, par M. Étienne Leroux, quelques figures destinées à des chapelles funéraires et à des places publiques, comme la Princesse Marie d’Orléans par M. Hector Lemaire, la Duchesse de Vicence par M. Boucher, le Meissonier par M. Fremiet et la Madame de Sévigné par M. Massoulle, nous aurons à peu près compté toutes les œuvres qui ont exigé, de la part de leurs auteurs, soit un effort de composition, soit une précision de recherches qui les mettent au-dessus des œuvres de fantaisie pure ou de simple virtuosité.

Le modèle en haut relief qu’expose M. Barrias doit être exécuté en bronze. Cette destination explique les hardiesses d’exécution qui donnent à ce bel ouvrage un aspect si pittoresque et animé sans troubler pourtant la tenue ferme de l’ensemble. C’est là qu’on voit le parti que peut tirer un artiste cultivé et intelligent des ressources offertes par la science ethnographique. Placer dans un cadre déterminé des Nubiens d’âges divers, c’eût été pour bien des sculpteurs, peut-être fort habiles, la simple occasion de montrer, avec une exactitude scolaire, leur savoir anatomique et leur conscience scientifique. M. Barrias, prenant la science pour base, a voulu néanmoins parler en artiste, mettre ses Africains