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chacun. Il est probable que ces règlemens ont survécu même à la domination romaine. Ils existaient sans doute encore, — Procope semble le dire, — du temps des Vandales, qui, comme tous les Germains, conservèrent l’administration des anciens maîtres du pays. Ce sont les Arabes qui ont tout laissé périr. Grâce à leur apathie et à leur imprévoyance, les sources ont tari, les barrages se sont effondrés, les fleuves ont de nouveau emporté toutes leurs eaux à la mer ; et voilà comment ces plaines, qui semblèrent si belles aux compagnons de Sidi-Okba, et qu’ils appelaient « un jardin fleuri », sont devenues presque partout un désert.


II

Naturellement, ce sont les petites propriétés dont il reste aujourd’hui le moins de traces : les paysans ne bâtissent pas pour l’éternité. Salluste nous dit que, dans les premiers temps, les habitations des Africains étaient fort grossières et qu’elles ressemblaient à des barques qui auraient la quille en l’air. On les appelait mapalia ou magalia. Il est probable que lorsque, au contact des Carthaginois, puis des Romains, les indigènes se furent un peu civilisés, leurs demeures devinrent moins rustiques. Elles l’étaient pourtant beaucoup encore. M. de la Blanchère a cru en retrouver quelques débris en parcourant le Sud-Oranais et il nous en fait la description. Ce sont des amas de murailles éboulées dont les ruines reproduisent à peu près la forme des bâtimens d’où elles proviennent, ce qui prouve qu’on ne les a pas renversées avec violence et qu’elles sont tombées toutes seules. Ces murailles se composaient de pierres non taillées, réunies par un mortier, comme celui dont se servent encore les gens du pays, et qui n’est guère que de la boue. « Vienne une pluie un peu forte, le prétendu mortier se détrempe, retourne à la terre, et le mur s’écroule. » Ces bâtisses, où n’entraient encore que très rarement la brique et la tuile, étaient souvent isolées ; elles occupaient le milieu d’un petit champ que le propriétaire cultivait en famille. Souvent aussi, dans les endroits qui n’étaient pas sûrs, les cultivateurs s’étaient réunis pour se protéger. Leurs maisons serrées les unes contre les autres, le long des flancs ou sur la crête de quelque colline abrupte, où il est moins facile d’être surpris, formaient des villages inaccessibles, qui devaient ressembler à ceux des Kabyles.

Dans ces villages ou dans ces fermes vivait une population sobre et robuste. Le pays, en somme, est sain. Les fièvres sans