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frémissante, sur son fond bleu, la petite tête de M. J.-C. Muenier, le peintre, nette et ferme, avec ses yeux vifs sous ses verres de lunettes fumés, rappellent, par leur exactitude et leur intensité, Holbein et les Clouet, tandis que, dans l’harmonie et le jet du manteau dont s’enveloppe Mme S…, en robe de bal, nous sentons le voisinage de Largillière et de Nattier. M. Dagnan-Bouveret ne croit pas, avec raison, se diminuer en vivant toujours, malgré sa réputation faite, au milieu d’illustres et utiles conseillers. Sa personnalité, loin d’en souffrir, s’y assouplit et s’y fortifie ; il a rarement fait un morceau plus personnel que cette belle étude-portrait, la Marchande de cierges. Combien en avons-nous vu, dans les pardons de Bretagne, aux abords des chapelles, assises le long des routes, de ces paysannes présentant des cierges aux pèlerins ! Vieilles, hâlées et ridées, fillettes fraîches ou pâlottes, femmes robustes ou maladives, il y en a de tout âge et de toute sorte ; mais toutes, en offrant leur marchandise sainte, conservent cette gravité fervente et douce qui est celle de la race. La marchande de M. Dagnan-Bouveret est jeune et belle, d’une beauté saine, chaste et mélancolique que met en pleine valeur la noblesse calme de la grande coiffe aux ailes relevées, de la large collerette plissée et des manches de laine plates, dont les blancheurs nuancées s’allient heureusement avec les tons sombres des tabliers et de la robe sur un fond de feuillage piqué de soleil. La physionomie est rendue avec une profondeur et une délicatesse de sentiment qui frappent les plus indifférens, l’exécution pittoresque est menée d’un bout à l’autre avec cette habileté simple qui caractérise les ouvrages supérieurs.

Si nous revenons aux Champs-Elysées, nous trouvons que les portraits les plus intéressans, comme peintures, ne sont pas toujours ceux qui en portent le titre et qui figurent au livret comme les images fidèles de M. X… ou de Mme Z… Cependant les belles ou jolies personnes qu’exposent MM. Hébert, Henner, Benjamin-Constant, Raphaël Collin et d’autres, sous des noms de fantaisie, sans ressemblance garantie, n’en sont (ni plus ni moins de sérieuses études d’après des créatures vivantes qui, comme la Marchande de cierges de M. Dagnan, n’ont pu être méditées et exécutées que par des portraitistes expérimentés. La Lavandara de M. Hébert, en français, la lavandière, est, nous l’avons déjà dit, un des morceaux les plus exquis que ce peintre savant, complètement maître de toutes les ressources et subtilités de son art, ait offerts, depuis longtemps, à notre admiration. La figure en elle-même, presque rien, ou du moins rien d’inattendu : une jeune blanchisseuse, une paysanne romaine, de physionomie aimable plutôt