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elle vit par miracle, elle oublie son corps ; c’est peut-être l’exemple le plus parfait et le plus inconscient du genre d’hygiène morale qui devient à la mode aux États-Unis sous le nom de Christian science, et dont j’aurai l’occasion de parler plus tard.

Bien entendu, miss Addams fait partie du Woman’s Club comme Mrs Carse, comme miss Willard, comme Mrs Logan, que la charité a conduite vers la plus répugnante de toutes les besognes, celle de la police. Mrs Logan est devenue matrone en chef et fait dans cette situation un bien incalculable. Les malfaiteurs et les malheureux sont emmenés pêle-mêle au même poste ; là elle procède à un triage ; elle prend soin des pauvres filles qui ont encore quelque étincelle de sens moral, elle leur assure le moyen de se relever. Elle plaide pour ses protégées au besoin, les accompagne devant le juge afin de leur donner du courage, ne connaît ni fatigue ni dégoût.

Il faut bien reconnaître à de pareilles femmes le droit de réclamer certains privilèges, car elles s’imposent de grands devoirs. Je suis mise au courant de leurs œuvres par une des célébrités de Chicago, Mrs Margaret Sullivan, qui, brillant journaliste, écrit chaque jour l’article de fond du Herald. Elle me dit : « La force des réformatrices américaines tient à ce qu’elles ont toujours mérité personnellement l’estime publique ; aucune d’elles n’a versé dans des excentricités de mauvais aloi, réclamant l’amour libre par exemple ou affichant des théories socialistes dangereuses. Même les premières en date, celles qui se sont signalées avec plus de fracas qu’on ne le fait aujourd’hui et qui attiraient sur elles le genre de ridicule qui frappe les shriekers (les criardes), étaient sans exception irréprochables sous le rapport des mœurs. Les Stanton, les Anthony, les Lucy Stone, ces apôtres de l’émancipation de la femme, ont pu être traitées d’énergumènes au début, mais on a toujours vénéré en elles des femmes de bien. Les membres les plus avancés du Woman’s Club sont de bonnes épouses et de bonnes mères. Aussi les hommes ne voient-ils aucune raison de contrarier le mouvement qu’elles dirigent ; ils applaudissent à leurs efforts, à leurs succès ; le jour où il plairait aux femmes de réclamer des droits politiques complets, ceux de leur famille et de leur entourage n’y feraient aucune opposition ; elles ne sont retenues que par leur propre sagesse. »

Mrs Sullivan parle ainsi en me faisant visiter les bureaux, l’imprimerie, toute la vaste et magnifique installation du Herald dont elle est le rédacteur le plus payé, ce qui est beaucoup dire. Trois autres femmes collaborent régulièrement à ce journal ; j’ai grand plaisir à causer avec l’une d’elles, Mrs Mary Abbott, chargée