des rues fangeuses, bordées de tristes baraques et de ces saloons qui participent du tripot et de l’estaminet. Nous nous arrêtons enfin devant un grand bâtiment aux fenêtres éclairées. Dès le seuil, je suis accueillie par une jeune femme souriante et vive, miss Ellen Starr. C’est à elle que je dois le premier aperçu de l’établissement qu’elle me fait visiter en détail. L’heure est favorable, car tous les membres du « Jane’s Club » sont rentrés au gîte.
Ce club d’ouvrières placé sous l’invocation pour ainsi dire de Jane Addams forme une annexe indépendante de Hull-House dont il est cependant un des traits les plus intéressans. Les jeunes filles qui le composent gagnent toutes leur vie comme couturières, modistes, lingères, demoiselles de magasin, sténographes, typographes, copistes à la machine, que sais-je ? Dispersées autrefois dans des pensions quelconques, dans des maisons garnies plus ou moins respectables, elles ont maintenant l’abri d’un home où leurs habitudes se sont affinées. Une grosse Allemande fort experte dirige les affaires matérielles du club qui en est venu à se soutenir seul avec ses propres ressources. Dans le salon, je trouve deux jeunes filles prenant, leur journée finie, une leçon de piano. Une autre, rentrant de son atelier, expédie un souper tardif dans la jolie salle à manger éclairée au gaz comme tout le reste de la maison, que chauffe un calorifère, luxe habituel en Amérique et même poussé beaucoup trop loin généralement, car presque partout, on étouffe. La plupart de ces demoiselles sont rentrées dans leurs chambres au premier et au second étage. Miss Starr va leur demander de permettre qu’une dame étrangère, qui ne fait que passer à Chicago, envahisse leur domaine, et elles y consentent avec la bonne grâce de personnes qui savent qu’elles ne perdent rien à se laisser voir de près. Les chambres sont en effet presque élégantes : dortoirs à deux, trois et quatre lits pour la plupart, mais divisées par des paravens, des portières et donnant au premier aspect une impression d’ordre et de netteté parfaite. Quelques jeunes filles se reposent, en lisant, dans des rocking chairs, d’autres commencent à se déshabiller ou peignent leurs cheveux devant la glace. Les surprenant de cette façon, j’ai la preuve immédiate de ce que m’a dit miss Starr : — « Ce sont de plus en plus des filles bien élevées. » — Elevées par le contact quotidien des meilleures entre les femmes. — Je m’excuse de mon intrusion, et elles répondent avec une politesse qui m’étonnerait fort si j’avais eu le temps de faire connaissance en Amérique avec d’autres personnes de cette même condition dans des milieux différens. Bien entendu elles profitent de tous les avantages qu’offre Hull-House, bibliothèques,