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J’ai rendu visite aux deux principaux : le Fortnightly et le Woman’s Club.

Le Fortnightly est un club exclusivement littéraire ; je le trouve installé dans un local élégant, hôtel Richelieu ; des femmes de tout âge, en toilette de ville, sont assises, très nombreuses, devant l’estrade où se tiennent la présidente et deux membres du bureau. Mrs Amélia Gere Masson, bien connue par son livre sur les salons de France, — Women of the French salons, lit — une étude intitulée : Types de femmes anciens et nouveaux, — sujet proposé selon l’usage et que l’on discute ensuite, soulevant des objections, complétant les détails ou rectifiant les erreurs. J’admire la facilité d’élocution développée chez toutes les dames qui successivement se lèvent, la netteté de leurs jugemens, le sens critique dont elles font preuve. Assurément elles arriveront au Congrès bien préparées pour raisonner avec suite et pour discuter sans passion, — la chose du monde qu’en tout pays les femmes savent le moins faire. Très peu de complimens, aucun désir de se rendre agréables, pas la moindre hésitation d’autre part à dire ce qu’elles croient être la vérité, — la vérité fût-elle désobligeante. Je suis également frappée par la bonne humeur de l’essayiste qui se trouve mise ainsi sur la sellette. Il est facile de comprendre que des réunions périodiques de cette sorte aient une action puissante sur l’esprit des femmes, sur leurs qualités de conversation, bannissant de l’entretien les sujets frivoles et trop personnels, habituant à écouter avec attention, à réfuter avec logique. En même temps les travaux indiqués d’avance sur les sujets les plus variés relatifs à la morale, à la philosophie, à la science, à l’histoire, font parfois surgir de véritables talens littéraires.

Après la séance, le thé est servi, on s’aborde, on cause : un des membres du club, qui a beaucoup habité la France, veut bien me dire que, même auprès de Chicago, elle trouve notre petit Paris incomparable. Je suis présentée à un grand nombre de personnes qui me reprochent gracieusement mon refus de prendre la parole, toutes les étrangères présentes à la séance y ayant été conviées. Lorsque je réponds que l’habitude de parler en public me manque absolument, elles prennent l’air apitoyé que les dames turques affectèrent en découvrant que lady Wortley Montague était emprisonnée dans un corset, ou que nous pourrions avoir nous-mêmes devant les pieds mutilés des Chinoises. Je dis à la présidente que les clubs américains sont tout près de rivaliser avec les anciens salons de France, tant on y montre d’esprit ; seulement ils se ferment aux hommes, que nos salons avaient au contraire pour but unique de réunir et de faire briller. À quoi elle me répond gaîment mais avec un éclair singulier dans les yeux :