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impatience du pouvoir devait payer, par huit années d’attente, l’erreur commise par elle en débutant.

En somme, sauf par le parti des vieux ministres, la nouvelle de l’avènement de Luçon fut, en général, bien accueillie. Ses adversaires eux-mêmes écrivent : « Plusieurs personnes le connaissaient d’un esprit subtil, qu’on ne peut aisément surprendre, parce qu’il est toujours en garde, qu’il dort peu, travaille beaucoup, pense à tout, est adroit, parle bien et est assez instruit des affaires étrangères. » Le Mercure français, enclin, il est vrai, à l’apologie, dit aussi : « Celuy qui a été fait secrétaire d’État est un prélat si plein de gloire pour l’innocence de sa vie, pour l’éminence de son savoir et pour l’excellence de son esprit, que tous ceux qui savent quel est son mérite avoueront aisément que Dieu l’a destiné pour rendre de grands et signalés services à Leurs Majestés au milieu des tempêtes de leur État. » Des contemporains moins suspects, les diplomates portent aussi des appréciations qui font plus d’honneur à leur jugement qu’à leur perspicacité. Voici d’abord l’avis des ambassadeurs vénitiens : « La charge de secrétaire d’État qu’avait Mangot fut offerte à Barbin ; mais celui-ci n’a pas voulu quitter le ministère des finances, où il y a plus de profit et moins de fatigue. La secrétairerie a donc été confiée à l’évêque de Luçon, désigné antérieurement pour aller en Espagne. À notre avis, ce ministre ne peut être considéré comme favorable aux intérêts de Vos Seigneuries. Il nous revient en effet qu’il est du parti espagnol ; d’ailleurs, il est grand aumônier de la reine régnante. Il fréquente habituellement à l’ambassade d’Espagne ; on dit même que l’Espagne lui paie pension. « Le 2 décembre, le nonce du pape, Bentivoglio, qui, il est vrai, n’avait pas encore pris possession de son poste, écrivait de Lyon à la cour pontificale : « À la place de Mangot on a mis l’évêque de Luçon, prélat qui, quoique jeune, est, comme le sait Votre Sainteté, un des plus éminens de la France par ses connaissances, son éloquence, sa vertu et son zèle pour la religion. Nous pouvons espérer que ce changement nous sera favorable ; car le garde des sceaux, quoiqu’il fût très instruit et très intègre, n’était pas très attaché aux choses de la religion ; et, comme secrétaire d’État, on ne pouvait rien désirer de mieux que l’évêque de Luçon. » Il n’est pas jusqu’au duc de Monteleone, ambassadeur de Philippe III, qui ne fasse à son tour l’éloge de l’évêque : « C’est mon ami intime, écrivait-il : il n’en existe pas deux, je crois, en France aussi zélés pour le service de Dieu, de notre couronne et du bien public. Et quand il n’aurait pas toutes ces qualités, son zèle pour le service de la reine infante nous permet de tout attendre de lui. D’ailleurs, j’ai les preuves les plus formelles de son dévouement