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de sa longanimité à l’égard des princes. Est-ce que personne ne l’aiderait à défendre l’autorité du roi ? Puis, elle se retournait du côté de Louis XIII, le suppliait encore de la décharger du fardeau du pouvoir. Tout cela était public. Les hostilités étaient déclarées. On se demandait seulement lequel des deux partis oserait faire le premier pas : celui-là était sûr de la victoire. Condé, au lieu d’agir, perdit du temps à braver ses ennemis en paroles. Il eut, avec Barbin, une conversation qui commença par des caresses réciproques et qui finit par une rupture. Le ministre avait pris son parti depuis longtemps. Il entraîna la reine. Elle fit prêter un serment particulier de fidélité par les dix-sept seigneurs. On donna des ordres au maréchal de Thémines. Des préparatifs furent faits presque publiquement. On porta des pertuisanes par caisses, chez Barbin, en guise d’étoffes de soie d’Italie et, le 1er  septembre, comme le prince de Condé se rendait chez la reine pour assister au conseil, Thémines, lui mettant la main sur l’épaule, l’arrêta. Le jeune Louis XIII, qui avait assisté au début de l’opération, montra une force de dissimulation qui eût dû ouvrir les yeux à ceux qui, ce jour-là, agissaient en son nom.

Le coup fait, tout ce qui hésitait courut en foule à la cour pour se montrer et donner des espérances de fidélité. Les plus compromis ne songèrent qu’à se mettre en sûreté. Mayenne, Bouillon, Guise, Vendôme et leurs complices s’enfuirent par toutes les portes. Il n’y eut que la princesse de Condé, mère du prisonnier, qui songea à organiser la résistance. Elle comptait sur le peuple de Paris. Elle sortit de sa maison et s’en alla jusqu’au pont Notre-Dame, criant partout aux armes. Chacun l’écoutait avec étonnement et pitié. Mais personne ne bougeait. Ce brave cordonnier Picard put seul produire une certaine émotion. Un gros de peuple qui le suivit se porta sur la maison du maréchal d’Ancre, près du Luxembourg, et la mit au pillage ainsi que celle de son secrétaire Corbinelli. La dévastation fut complète et dura deux jours. On trouva, dans la maison du favori, des robes de la reine, dont l’une valait plus de cinquante mille écus.

Ce fut tout. Le prince de Condé trembla tout d’abord pour sa vie. Bientôt rassuré, il prit assez philosophiquement son parti. On le laissa au Louvre pendant quelque temps ; puis on le transféra sous bonne escorte à la Bastille. Il put s’y reposer de ses débauches et y cuver tout à loisir ses ambitions. La reine, les favoris, les ministres triomphaient. Il avait suffi de vouloir. Qui pouvait maintenant leur résister ? La grande féodalité était frappée à la tête. Les protestans ne bougeaient pas. En province,