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près trois mille habitans. Il y en avait plusieurs du temps des Romains, deux d’abord dont nous savons le nom, Thubba et Chiniava, puis trois ou quatre que nous ne distinguons plus que par les ruines qu’elles ont laissées. Ces ruines, qui occupent quelquefois plus d’un kilomètre, sont à peu près désertes ; c’est à peine si sur l’une d’elles se dressent quelques huttes misérables qu’habitent une cinquantaine d’Arabes. Elles devaient être autrefois florissantes et peuplées. Quant aux autres débris, ils ne manquent pas non plus d’importance : ce sont des pans de mur écroulés, des puits, des citernes, des pierres taillées qui proviennent d’anciennes habitations disparues, et de temps en temps des colonnes, des mosaïques, des tours rondes ou carrées, restes de belles villas ou de fermes fortifiées.

Ce que nous remarquons dans les environs de Mateur, soyons sûrs que nous le retrouverions à peu près partout : tout nous démontre que ce pays était autrefois couvert de villes, de bourgs, de villages, de maisons de plaisance ou d’exploitation, et qu’il s’y pressait une population riche et industrieuse. En voyant ce qu’il est aujourd’hui, et en songeant à ce que les Romains en avaient fait, nous éprouvons d’abord une très vive admiration pour eux, mais en même temps nous ne pouvons nous défendre d’une très grande surprise.

C’est qu’en effet, pour rendre l’Afrique aussi florissante, pour y réunir dans les campagnes et les villes une population aussi serrée, pour faire produire au sol de belles récoltes, pour amener partout l’abondance et la vie, il nous semble que Rome avait à lutter contre des difficultés presque insurmontables : il lui fallait vaincre à la fois la résistance des hommes et celle de la nature.

Les hommes d’abord ne paraissaient pas en général d’un caractère à pouvoir être aisément attachés au sol. Nous voyons aujourd’hui que, même parmi ceux qui semblent être devenus des cultivateurs sédentaires, il y en a beaucoup qui se déplacent avec une grande facilité, et qui, l’êté venu, habitent moins volontiers le gourbi que la tente : un plus grand nombre encore est tout à fait nomade et ne se fixe jamais. « Aux approches de l’été, dit M. Wahl, les caravanes se mettent en route vers le Tell ; elles y arriveront après la moisson faite ; les bêtes trouveront encore leur pâturage dans les champs dépouillés. À l’automne, quand tombent les premières pluies, on revient sur les hauts plateaux et dans le Sahara. C’est un curieux spectacle que celui d’une tribu en marche : les chameaux s’avancent gravement, en file, portant les provisions, les tentes, les ustensiles de ménage ; puis viennent