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voulut s’arrêter trois jours à Amboise ; il y parut satisfait et ravi de tout. « Le 9 février, il faisait un extrême froid ; le roi chassait le héron, et tant qu’il était à Amboise, la campagne a été sa chambre et son cabinet. »

Après la rentrée à Paris, l’intimité fut plus grande encore, constante. L’habile favori jouait un jeu très couvert, poli, obséquieux auprès de tout le monde. On le voyait, dans les coins, parlant à voix basse avec le roi. Le soir, il restait seul près de son lit et l’entretenait longtemps. Pourquoi ces longs tête-à-tête ? Que se disaient-ils ? Autour d’eux, des confidens peu nombreux, les deux frères Brantes et Cadenet, des amis très sûrs, s’ils savaient quelque chose, gardaient bien le secret.

Ainsi, au moment où la reine se croyait le plus assurée de son autorité, au moment où Concini admis, recherché, entouré, mettait la main sur le gouvernement, au moment où les adversaires de l’un et de l’autre prenaient le parti de désarmer, on sentait remuer dans l’ombre quelque chose de nouveau qui entretenait l’inquiétude dans les âmes. La reine, incapable de dissimuler ses sentimens, étouffait.

Ses amis, ses confidens, parmi lesquels Richelieu apparaît dès cette époque, lui conseillaient d’en avoir le cœur net. Elle alla donc trouver son fils et lui mit le marché à la main : « Elle avait fait de son mieux pour le conduire jusqu’à sa majorité ; maintenant qu’il était majeur, marié, elle se considérait comme hors de charge ; elle demandait au roi de venir avec elle au parlement pour lui donner, en séance solennelle, à la fois le quitus de l’administration du royaume et le congé dont elle voulait jouir pour terminer ses jours dans le repos. » Elle avait même fait traiter l’achat de la principauté de la Mirandole où elle disait vouloir se retirer. De la part de la reine, cette offre était un jeu ; elle savait bien « que le roi ne la recevroit pas et qu’elle feroit en son esprit l’effet qu’elle désiroit qui étoit de lui ôter la créance qu’elle eût un désir démesuré de continuer son gouvernement, quoique au fond, elle y fût portée par ambition particulière, non pour le bien du service, ou que la nécessité publique le requît. » Mais le fils fut plus habile que la mère : « Quelque insistance qu’elle pût faire, il ne voulut jamais lui accorder de quitter le gouvernement des affaires ; » en revanche, « il ne s’ouvrit pas à elle des mécontentemens qu’il commençait à avoir du prodigieux élèvement du maréchal d’Ancre ; il l’assura qu’il était très satisfait de son administration et il ajouta, en forme de réponse aux reproches indirects qu’elle avait adressés à Luynes, que personne ne parlait d’elle qu’en des termes convenables à sa dignité. » Luynes