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il les choisissait généralement assez mal : un soldat nommé Haran ; un « plat pied » de Saint-Germain-en-Laye nommé Pierrot « qui lui faisoit passer le temps et lui fournissoit des moineaux. » Puisque le roi décidément n’avait de goût que pour cet ordre d’amusemens, on pensa qu’il fallait en confier les soins à quelqu’un de plus relevé. M. de Vitry, capitaine des gardes du roi, songea à placer là une de ses créatures, un soldat des gardes, nommé La Coudrelle, « qui entendait fort bien la fauconnerie. » Mais le gouverneur du roi, M. de Souvré, averti à temps, contrecarra cette intrigue, et, pour mettre en cet endroit un homme qui lui aurait toute l’obligation, il jeta les yeux sur Luynes. Le roi avait déjà paru s’attacher à lui. En raison de la grande disproportion des âges, de l’origine modeste, des relations et des moyens médiocres, le personnage ne paraissait point dangereux.

Or, justement, les qualités qui avaient dicté le choix de l’entourage de Marie de Médicis furent celles qui gagnèrent le cœur du roi. Ce tempérament calme, prévenant et très doux, cette maturité indulgente convenaient à l’enfant, qui n’avait pas été élevé et dont la nature à la fois peu communicative et aimante avait besoin d’être soutenue et dirigée. Il trouvait donc quelqu’un à qui parler sans rougir de son bégaiement, qui voulût bien s’amuser de ses amusemens, une épaule où s’appuyer tandis qu’il s’acheminait d’un pas si hésitant vers la virilité. Il s’abandonna en toute âme et confiance à ce seul ami qu’on lui laissait. Son inexpérience ne lui permettait pas de découvrir le calcul qui pouvait se cacher sous ces apparences charmantes. Bientôt il ne put plus se passer de Luynes. Il l’adorait. La nuit, il rêvait de lui ; il en avait la fièvre : Luynes ! Luynes ! criait-il, à la grande surprise d’Héroard, qui venait se pencher sur le lit de l’enfant pour suivre, jusque dans le sommeil, les progrès de cette étrange affection.

Bientôt ce fut une question pour la reine mère de voir s’il était préférable d’engager la lutte contre Luynes et de le briser avant qu’il fût devenu plus fort, ou bien s’il valait mieux le combler pour gagner sa gratitude. On prit ce dernier parti ; c’est celui des âmes faibles, et il vient d’une connaissance bien incomplète du cœur humain : les bienfaits nourrissent les ingrats. En 1614, Luynes reçut le gouvernement de la ville et du château d’Amboise, qui fut retiré au prince de Condé. Pendant le voyage de Guyenne, le roi ne le quittait pas ; il marchait par les chemins avec ce seul compagnon, galopait et chassait avec lui. Il l’envoya au-devant d’Anne d’Autriche, avec mission de présenter à celle-ci, « comme son confident serviteur », les hommages du jeune mari. Au retour, Louis XIII avait plus d’yeux pour son ami que pour sa femme. Il