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tout son temps. Sa principale occupation était la chasse. Il chassait le lundi, le mercredi et le samedi. « Et s’il n’y avait point d’empêchemens importans, il chassait aussi les autres jours », dit naïvement le narrateur des hauts faits de sa fauconnerie, le sieur d’Esparron. Les oiseaux au poing, ou galopant derrière ses meutes, il battait, par tous les temps, les plaines et les forêts des environs de Paris. Nous pouvons en croire encore le sieur d’Esparron quand il affirme que « jamais on ne chassa si bien au vol en France, et que jamais roi n’eut de si bons oiseaux, que de toutes parts on lui apporte, sachant comme il les aime. » Dès 1610, Louis, encore dauphin et âgé seulement de neuf ans, écrit à sa petite sœur, Madame, ce billet vraiment bourbonien : « Ma sœur, je vous envoie deux piés, l’un de loup et l’autre de louve, que je pris hier à la chasse. Je courray après dîner le cerf, et j’espère qu’il sera malmené, et demeurerai vostre bien affectionné frère : LOUIS. » Nous verrons qu’il en écrivait de tout semblables à Richelieu trente ans plus tard. Quand il ne chassait pas, le roi se divertissait à d’autres exercices non moins importans : il attelait ses chiens à de petits canons, il faisait des massepains ou d’autres pièces de cuisine. Nous parlons toujours, bien entendu, du roi majeur et âgé de seize ans. Pour les temps de pluie, il s’était fait organiser tout un vol de petits faucons et de pies-grièches, dressés à prendre les petits oiseaux qu’on lâchait dans les appartemens et galeries. On sait que là fut l’origine de la faveur de Luynes. Il faut laisser parler encore Saint-Simon : « M. de Luynes fut l’unique courtisan qui put avoir leur attache (des Concini) pour amuser l’ennui du Dauphin, toujours enfermé dans son appartement, qui eut assez d’adresse pour se maintenir dans la liberté de l’approcher. Ils ne craignaient ni ses alliances ni ses établissemens ; il eut la souplesse de les rassurer sur son esprit et sur l’usage qu’il en pourrait faire ; il fut ainsi très longtemps l’unique ressource du jeune prince dans sa réclusion et les duretés sans nombre qu’il éprouvait. » Dans cette enfance prolongée, le roi conservait une douceur, une docilité, une soumission qui eussent trompé des esprits moins prévenus que ceux de la reine et de son entourage si l’on n’eût déjà vu passer en lui deux qualités royales, que ce système d’éducation avait plutôt contribué à développer : le secret et la dissimulation. On ne savait pas au juste ce qu’il y avait dans ces longues bouderies qui éclataient parfois en des crises de colère allant jusqu’à l’épilepsie. Vers la fin de 1615, l’ambassadeur vénitien résumait sa propre impression dans ce tableau vigoureux où tous les traits sont habilement ramassés : « Quant au roi, on s’applique à le porter le moins qu’il se peut aux affaires ; avec des