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Sur les conseils de Villeroy, la reine avait, une fois encore, cédé à toutes les exigences du prince de Condé. Il obtint la ville et le château de Chinon ; en échange de son gouvernement de Guyenne, celui de Berry, bien plus proche de Paris, avec la Grosse Tour de Bourges, qui passait pour une forteresse imprenable, plusieurs places à sa convenance et quinze cent mille livres d’argent comptant. Mais surtout, — grand succès moral pour lui, — un article secret disposait qu’il avait effectivement la direction du conseil royal et le droit de signer. Pour décider la reine, hésitante à faire ce sacrifice qui touchait à l’autorité royale et à l’honneur de la régence, Villeroy lui avait dit : « Que vous importe de laisser la plume en main à un homme dont vous tenez le bras ! » Elle avait cédé. Mais cette concession et celle qui avait été imposée au maréchal d’Ancre à l’occasion des villes picardes l’avaient touchée au cœur. Elle avait soupçonné une connivence entre ses ministres et les princes. Dans le trouble des esprits et des consciences, ces arrangemens étaient habituels.

D’ailleurs, l’attention de la reine était tenue en éveil par des hommes qui lui donnaient des conseils tout différens. Dolé, il est vrai, venait de mourir ; mais Barbin l’avait remplacé dans la confiance de la reine et des Concini. On commença par exécuter Sillery. La chute du pauvre homme fut lamentable. Ayant appris qu’on faisait venir de Provence Du Vair, qu’on lui donnait pour successeur, il avait demandé quelque répit ; mais il dut obéir et remettre les sceaux au roi, en présence de la reine, à Tours, le 28 avril. « Il entra si étonné et si tremblant qu’il fut contraint de s’appuyer sur Mlle Catherine, femme de chambre de la reine ; il se mit à genoux, pleura et fit, en somme, toutes les actions qui peuvent témoigner un extrême défaut de résolution. » On le remplaça par ce fameux Du Vair, foudre d’éloquence, grande vertu, grande barbe, et capacité médiocre, qui réservait à ses protecteurs actuels de promptes désillusions. Pour les autres ministres, on attendit encore. Richelieu, qui était aux écoutes, écrit : « L’éloignement du président Jeannin et de M. Villeroy était déjà aussi résolu, mais ce dessein n’éclatait pas encore, Barbin, à qui la reine avait donné la charge du premier, ayant cru devoir différer de la recevoir jusqu’à ce que Leurs Majestés fussent de retour à Paris et la paix bien assurée. »

Cette période d’incertitude imposée par la prudence et le sang-froid de Barbin dut paraître bien longue à l’évêque de Luçon. La cour s’éloignait lentement des provinces de l’Ouest. Léonora Galigaï était, depuis plusieurs semaines déjà, rentrée à Paris. Luçon n’y tint plus : quoique malade encore, il quitta Coussay et vint, à son tour, s’installer à Paris, en son domicile de la rue des