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peut mesurer l’importance avec assez d’exactitude par leurs monumens en partie debout et par leur assiette encore visible. C’est d’abord Thysdrus, dont l’amphithéâtre, le cirque et le grand temple étaient colossaux, et qui a dû avoir plus de cent mille habitans ; Suffetula en avait sans doute vingt à vingt-cinq mille ; Cillium, douze à quinze mille ; et Thélepte, la plus grande ville de la Tunisie ancienne après Thysdrus, cinquante à soixante mille. « Outre ces grands centres, ajoute M. Bourde, de gros bourgs comptaient eux-mêmes plusieurs milliers d’habitans ; et outre ces villes et ces bourgs, un grand nombre de villages et de fermes isolées, dont on rencontre les restes pour ainsi dire à chaque pas, couvraient la campagne. »

Ces fermes, ces villages, qui peuplaient l’Afrique romaine, on n’en saura jamais bien exactement le nombre, car il y en a beaucoup dont le temps a fait disparaître jusqu’au dernier vestige. Mais, si l’on ne peut plus restituer ce qui est perdu, tout le monde comprend combien il serait utile qu’on prît la peine de signaler avec soin tout ce qui reste : c’est ce qu’on essaie précisément de faire en ce moment, au moins pour la Tunisie. Le ministère de l’Instruction publique vient de commencer la publication d’un atlas archéologique de ce pays, qui nous rendra les plus grands services quand il sera complet[1]. Sur la belle carte topographique dressée par l’état-major de notre armée d’occupation, on reporte, sans en omettre aucune, toutes les traces de ruines antiques qui subsistent encore. C’est un moyen de nous donner quelque idée de ce que devait être le pays aux belles époques de la domination romaine. Prenons, par exemple, les environs de la petite ville de Mateur, située près de Bizerte. Cette contrée est encore aujourd’hui fertile et, relativement au reste de la Tunisie, assez habitée ; mais qu’elle l’était davantage dans l’antiquité ! Il suffit, pour en être convaincu, de consulter les cartes de l’atlas archéologique. Sur un territoire qui ne dépasse guère l’étendue d’un de nos arrondissemens, les ruines romaines qui ont été notées sont au nombre de plus de 300 ; et qu’on songe à tout ce qui a disparu sans retour depuis quatorze siècles ! Aujourd’hui il ne se trouve plus dans le pays qu’une seule ville, celle de Mateur, l’ancien oppidum Mataurense, qui renferme à peu

  1. Atlas archéologique de la Tunisie, avec un texte explicatif par MM. Babelon, Cagnat et Salomon Reinach. Le premier travail, dans cette œuvre si utile, est exécuté par les officiers composant les brigades topographiques, sous la direction du général Derrécagaix. C’est dire qu’ici, comme en toute occasion, l’armée a rendu les services les plus signalés et les plus intelligens à l’exploration scientifique de l’Afrique.