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l’Amérique blanche ne sont qu’une grande famille. Le centre de gravité peut se déplacer d’un peuple de blancs à l’autre, il ne change pas l’équilibre général de la race.

Supposons maintenant des races très distantes : l’une est restée barbare ou, depuis longtemps, s’est arrêtée et comme figée à un degré de civilisation inférieur ; l’autre, représentant les plus hauts sommets de la civilisation moderne, est toute tournée vers l’avenir. Si elles se mélangent, quels seront les résultats pour le caractère ? La psychologie des races mêlées s’éclaire par leur physiologie. Darwin a démontré que, dans les croisemens trop accusés, c’est la « loi de régression » qui l’emporte, de manière à ramener à la surface les traits inférieurs, souvent disparus depuis des générations lointaines. La théorie mécanique des croisemens est du reste bien établie : deux forces contraires tendent à s’annuler, si bien qu’une troisième force, même originairement faible, peut finir par l’emporter sur la résistance des deux autres, à mesure que celles-ci se rapprochent du point de neutralisation mutuelle. De là, dans les croisemens, ce qu’on a appelé la « loi d’incohérence », qui se traduit par un double effet : désharmonie au sein de l’individu et dissemblance entre les divers individus, tantôt rapprochés d’une souche, tantôt de la souche opposée. La déséquilibration se retrouve souvent au moral comme au physique. La fusion, en effet, ne peut avoir lieu que dans les parties communes, ou tout au moins harmoniques ; or, ces parties sont ici peu nombreuses. Par exemple, qu’est-ce qu’un Boschiman ou un Australien a de commun avec le blanc ? Les instincts les plus primitifs de l’espèce humaine. Unissez un Boschiman à une femme européenne, la lutte des élémens antagonistes, au lieu d’exister entre divers individus, sera transportée au sein d’un seul et même individu. Vous aurez un caractère divisé contre lui-même, incohérent, qui obéira tantôt à une impulsion, tantôt à l’impulsion opposée, sans pouvoir adopter une ligne fixe de conduite. Les hystériques, en qui la personnalité tend à se dédoubler, nous offrent l’image de ce désordre intérieur : ce n’est plus un caractère, ce sont deux ou trois caractères en un seul. Quand des races se mélangent, celle qui est trop inférieure n’emprunte souvent à l’autre que ses vices, beaucoup mieux en harmonie que les qualités avec ses propres tendances ancestrales. Les Arabes disent : Dieu a créé le blanc, Dieu a créé le noir, le diable a créé le métis. On prétend aussi que les tendances sympathiques, les instincts de dévouement à la famille et à la race, se trouvant partagés entre des lignes contraires, tendent à s’annuler pour laisser place à l’amour de soi. Le métis, a-t-on dit, ne peut aimer une race ; il faudrait qu’il en aimât et défendît deux, trois, dix : toutes ces