Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 123.djvu/952

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vivement frappé les poètes italiens. L’un d’entre eux, Nicolini, compose une grande tragédie politique, Nabuco, où il met en scène, sous des noms assyriens, Napoléon, sa famille et ses généraux. Le morceau le plus dramatique de la tragédie est un dialogue entre Nabuco-Napoléon et Arsace-Carnot : Arsace conseille à l’Empereur d’échanger son pouvoir absolu contre un régime constitutionnel.

Enfin lorsque Napoléon meurt à Sainte-Hélène, c’est un poète italien, Manzoni, l’auteur des Fiancés, qui, le premier en Europe, célèbre sa mémoire. L’ode qu’il écrit à ce propos, le Cinq Mai, passe pour un des chefs-d’œuvre de la poésie italienne : c’est vraiment un beau poème, plein de souffle et d’accent. Et à la suite de Manzoni, tous les poètes italiens, grands et petits, se répandent en éloges [sur la mort de l’homme dont la chute a été pour l’Italie le signal de la servitude. Mais aucune de leurs compositions ne vaut même d’être signalée, sauf peut-être une scène dramatique de l’improvisateur Antonio Bindocci : le Couple Bertrand au tombeau de Napoléon. Bertrand et sa femme, venus pour pleurer sur la tombe de leur maître, ont l’idée d’invoquer son ombre ; aussitôt celle-ci leur apparaît, leur fait l’éloge de ses vertus, et les laisse pénétrés d’enthousiasme et d’attendrissement.

Ainsi les Italiens, par haine de l’oppression autrichienne, en sont venus à regretter l’oppression française. Celle-ci parait cependant leur avoir en son temps, lourdement pesé. En voici un témoignage nouveau, que je trouve dans la Nuova Aniologia du 15 mars. C’est un épisode des guerres de la Révolution : épisode assez peu connu, je crois, et qui, pour être d’une vérité historique incontestable, n’en a pas moins toutes les apparences d’une aventure de brigands.

A Rome, le 24 décembre 1798, le général Brémont, ministre de la Guerre de la République romaine, offrait à ses compatriotes un grand bal, où assistaient, entre autres personnages importans, les généraux Championnet et Macdonald, Buhot, commissaire ordonnateur, et Méchin, nouvellement nommé administrateur de l’île de Malte, en remplacement de Regnaud de Saint-Jean-d’Angély. Le bal venait à peine de finir, lorsque le tocsin retentit dans Rome : l’armée du roi de Naples, disait-on, allait attaquer la ville. Il s’agissait, pour la population française, de s’en aller au plus vite.

Le 26 novembre, à une heure du matin, une longue file de carrosses sortit de Rome par la porte du Peuple. En tête du défilé venaient, avec leurs femmes et leurs enfans, l’administrateur Méchin, Mangourit, chargé d’affaires à Naples, et M. de Saint-André, inspecteur des transports militaires. A onze heures, la caravane s’arrêta à Monterosi, pour