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déroule chez nos écrivains du XVIIe siècle, qui ne sait qu’elle a été calquée sur la période latine ? Elle est dans les premières années du siècle trop longue, trop embarrassée, et par là même obscure. Puis s’étant éclaircie et simplifiée, elle devient pour la pensée le seul moyen qu’elle ait de s’exprimer complètement, en conservant le lien logique et l’ordre de subordination des idées. Peu à peu elle se désorganise, elle se morcelle ; le sentiment s’en est perdu. À la grande phrase savamment ordonnée du XVIIe siècle, le siècle qui suit substitue des séries de petites phrases où l’on se contente de juxtaposer les idées sans plus se soucier de mettre chacune à son plan. C’est à tout prendre une perte pour la langue. C’est en ce sens que J.-J. Rousseau lui a rendu service en restaurant dans sa prose oratoire la période qu’il a léguée à Chateaubriand et qu’ont reprise après lui les poètes lyriques de ce siècle. Mais la période étant une application de l’esprit de synthèse qui en quelque manière contrarie l’esprit analytique de notre langue, elle aura tôt fait de lasser ceux qui n’y auront pas été initiés pour l’avoir constamment rencontrée dans leurs lectures latines.

En fait, il y a toujours eu intime union entre le développement du latinisme et l’état de notre langue. Rien qu’à voir la physionomie du langage, on peut être renseigné sur les variations qu’a subies chez nous la culture latine. Je remarque d’abord que c’est du jour seulement où il s’est mis à l’école des Latins que le français est devenu capable de porter une littérature. Car on reproche aux écrivains du XVIe siècle leur pédantisme, on les accuse d’être venus déranger la langue dans son développement normal et nous imposer une littérature d’imitation. Le fait est qu’ils n’ont pris la place de personne, et qu’avant eux, la langue française, quelles qu’en pussent être les qualités de souplesse et de naïveté, attendait encore le moment de devenir une langue littéraire. — Puis on a constaté qu’il y a, dans l’histoire d’une littérature, des époques où tout le monde écrit bien. Le XVIIe siècle est chez nous cette époque où ceux qui n’ont dans le style ni originalité ni éclat écrivent du moins purement. C’est aussi le temps où les études classiques sont le plus florissantes. Elles déclinent au siècle suivant. Et si l’on voulait savoir en effet à quelle époque on a en France le plus mal écrit, il n’y aurait pas à hésiter, et c’est cette seconde moitié du XVIIIe siècle qu’il faudrait indiquer en y ajoutant toutefois les premières années du nôtre. C’est alors que tout souci se perd de la composition des phrases et du choix des mots. C’est alors que l’emploi des termes les plus vagues, les plus décolorés et les plus constamment impropres aboutit à faire de la langue française ce jargon que parlent alors presque tous les écrivains de second ordre, et dont on ne retrouve que trop de traces chez les grands écrivains, à l’exception du seul Voltaire. — Nous assistons aujourd’hui à un autre travail de déformation de la langue, dont il est juste de faire honneur à des écrivains médiocrement