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« Si le Parlement n’approuve pas l’application provisoire des nouvelles taxes, s’il refuse le Catenaccio, que doit-on faire ? doit-on restituer la majoration de la taxe ou non ? En Angleterre, on opère la restitution. En Italie, on a soutenu, à la Chambre, qu’on ne doit pas faire la restitution, et voici le raisonnement qu’on a fait. Le consommateur, a-t-on dit, n’a à cette restitution aucun avantage. Il ne recevra rien, quoique l’augmentation de la taxe ait été effectivement payée par lui. Le vendeur de la marchandise frappée d’une taxe majorée a fait payer le droit nouveau au consommateur. C’est celui-ci qui a payé réellement la taxe. Or il ne peut pas être question de lui en demander, à lui, la restitution, et il n’y a, non plus, aucune bonne raison pour la rembourser à ceux qui l’ont payée au fisc. Faite en leur faveur, cette restitution serait une prime, un pur don qu’on leur consentirait, ce ne serait pas un acte de justice.

« On voit que le Catenaccio ne soulève pas seulement des problèmes d’ordre politique, mais qu’il fait naître des difficultés d’ordre économique et même financier. »

Ainsi se vérifie l’impuissance du législateur quand il entre en lutte avec les lois économiques. Ses petites ruses sont tout de suite déjouées et il atteint souvent un résultat diamétralement opposé à celui qu’il poursuit. Pour notre part, nous ririons volontiers de l’idée et du terme bizarre à l’importation desquels le gouvernement a la faiblesse de se prêter, si leur application ne devait avoir pour effet de porter un nouveau coup à notre commerce agonisant. C’est l’agriculture qui souffre, et c’est le commerce qui en mourra. Déjà, depuis que notre nouveau tarif est en vigueur, a commencé l’exode de nos industries : plusieurs sont allées à l’étranger chercher des conditions d’existence plus favorables et reçoivent de la part de nos rivaux un accueil qui permet de mesurer le profit qu’ils comptent tirer de cet appoint et de ce surcroît de forces. Si nos protectionnistes vont jusqu’à couronner leur œuvre en votant le projet de loi que, sur leur inspiration, les ministres du Commerce et de l’Agriculture ont déposé, peut-être auront-ils à se reprocher un jour d’avoir provoqué un véritable Édit de Nantes économique ; et, puisque l’on tient tant à nous doter d’un Cadenas, nous pensons qu’on l’utiliserait bien mieux en fermant une bonne fois cette boîte de Pandore protectionniste de laquelle sont déjà sortis tant de maux.


J. CHARLES ROUX.