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s’être livré à l’agiotage, grâce aux dispositions de la loi de floréal an X, que la loi de 1814 a reproduites. Aujourd’hui le thème est tout opposé : c’est la spéculation que l’on poursuit et l’on prétend laisser la politique de côté.

Mais ce n’est là qu’un point secondaire. Envisageons les faits. Est-il aucun rapport entre ce qu’étaient le commerce et l’industrie en 1814, au lendemain des guerres de la Révolution et de l’Empire, à la veille d’une crise nouvelle, en l’absence de tout moyen rapide de transport, alors que les inventions modernes qui ont transformé le monde en cinquante ans étaient encore à l’état embryonnaire, et ce qu’ils sont devenus après l’essor de 1860, après vingt-quatre ans de paix, après les transformations inouïes amenées par l’application de la vapeur et de l’électricité ? Autant pareille disposition a pu passer inaperçue alors et sommeiller paisiblement dans l’arsenal des lois protectionnistes ; autant, à l’heure actuelle, elle soulèverait de tempêtes et serait l’objet d’une opposition vivace et irréductible. Si, jusqu’à présent, les protestations ne se sont pas fait entendre plus éclatantes et plus nombreuses, c’est que le monde des affaires ne saurait se rendre un compte exact du danger qui le menace. Il en est de la liberté du commerce, comme de nos libertés politiques et de la liberté de conscience ; c’est un des biens les plus précieux que nous possédions ; tout esprit moderne doit se révolter à la pensée d’en être privé. Ce qui ne devait étonner ni le peuple ni le Gouvernement au sortir de l’ancien régime, alors que l’on avait à peine oublié la réglementation étroite qui entravait industrie, manufacture, travail et négoce, constituerait aujourd’hui une véritable révolution dans le domaine économique.


II

On objecte que non seulement le Cadenas est inscrit sur les tables de nos lois, mais qu’il fonctionne en ce moment même à l’étranger et notamment en Angleterre et en Italie.

Nous trouvons dans ce fait qu’il est pratiqué en Angleterre une raison de plus pour ne point l’adopter chez nous, car les deux pays sont dans des conditions économiques diamétralement opposées, qui comportent des solutions également différentes. Quant à l’Italie, elle nous fournit des exemples tels, qu’instruits par son expérience, nous devrions avoir à cœur de ne pas la suivre sur le même terrain.

Dans le Royaume-Uni, le tarif douanier n’atteint que des articles peu nombreux et d’une nature toute spéciale : le tabac, le thé, le café, le cacao ou chocolat, la chicorée, les cartes à jouer,