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sont concentrés sur le terrain commercial, c’est sur ce terrain que se nouent et que se dénouent les alliances. N’est-il pas indispensable, dès lors, que la volonté nationale puisse faire entendre sa voix par l’organe de ses représentans ? Sans doute, deux exceptions ont été faites à ce principe. La première concerne notre régime économique. Elle est pour ainsi dire l’envers de la proposition du Cadenas : le Gouvernement peut, de son propre mouvement, suspendre l’application des droits sur les céréales, quand les circonstances l’exigent. La seconde a trait à notre régime financier. Une des prérogatives les plus indiscutables du Parlement est celle qui consiste à autoriser les dépenses publiques en même temps que le recouvrement de l’impôt. On a été conduit à déroger à cette règle, — dont la méconnaissance avait été, du reste, le point de départ de toutes nos révolutions, — par la nécessité de ne pas enrayer la marche des services publics pendant l’intervalle des sessions parlementaires. Un décret en Conseil d’Etat peut ouvrir des crédits que les Chambres doivent ratifier ensuite, dès leur rentrée.

Eh bien, il existe une différence capitale entre ces deux cas et la troisième exception que l’on se propose de créer. Le cours du blé, celui du pain ont dépassé le taux normal ; la disette s’est fait sentir sur plusieurs points du territoire ; la famine menace le pays ; voilà des signes certains. Si l’on n’avise, le peuple souffrira le plus horrible des maux et l’ordre de choses établi courra le plus grand des dangers ; voilà des circonstances pressantes. De même, la dotation de tel chapitre du budget est épuisée, ou tel besoin nouveau vient de se produire ; voilà encore des signes certains. Le fonctionnement d’un rouage indispensable va se trouver suspendu ; voilà aussi une circonstance pressante. Mais, quand on vient dire qu’il y a un malaise économique général, que telle denrée se vend difficilement, que le gain d’une catégorie de la population paraît insuffisant, est-on bien sûr d’abord de voir l’effet sous son jour véritable, à travers le kaléidoscope aux mille reflets de l’intérêt privé ; puis êtes-vous certain, vous, Gouvernement, d’apercevoir la vraie cause de cette situation et pourriez-vous jurer que ce que vous allez faire, en aggravant une mesure de protection, peut atteindre le mal et y remédier ? Certes non, car sans cela les discussions du tarif de 1889, véritable tournoi, joute de tous les instans, dont nous n’avons pas perdu le souvenir, n’auraient pas eu de raison d’être et nous n’aurions pas assisté aux débats les plus âpres et les plus contradictoires.

Au surplus, le système que l’on nous propose n’est pas nouveau. Ce n’est que la remise à neuf d’un vieil outil de la serrurerie protectionniste, rouillé avant d’avoir servi et qui date de 1814.