Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 123.djvu/920

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

intégrante de notre législation ; on ne tend à rien moins qu’à rendre les transactions commerciales impossibles en suspendant sur elles une série de risques nouveaux contre lesquels l’assurance est impuissante et qui dépassent, comme importance, ce que pourraient représenter les événemens les plus graves et les cas de force majeure les plus désastreux.

Il ne faut pas s’y tromper, si la période des traités de commerce a été favorable aux intérêts français, c’est qu’à cette époque négocians et industriels savaient sur quel terrain ils marchaient. Après l’avoir exploré, ils prenaient leurs mesures en toute sécurité et lançaient des entreprises dont l’existence douanière était assurée pour un temps. Ces traités de commerce, que la majorité du Parlement a eu la fâcheuse inspiration de ne pas renouveler, présentaient des avantages indéniables à côté des quelques inconvéniens que l’on a exagérés de parti pris. Ils constituaient pour le monde des affaires une garantie que rien ne peut remplacer ; et cette garantie résidait précisément dans leur durée. Une sorte de contrat synallagmatique intervenait entre l’Etat et ses nationaux, aux termes duquel pendant une certaine période les droits sur telle ou telle marchandise demeuraient invariables. Sur la foi de ces traités, on pouvait oser et on avait chance de récolter le fruit de son audace ; et ces conditions sont tellement indispensables à la vie industrielle et commerciale que les nations qui paraissaient le plus inféodées au régime protecteur l’ont toutes abandonné pour contracter des traités de douze années. La France seule a adopté ce fameux tarif maximum et minimum qui devait constituer une véritable panacée, et n’est au contraire qu’un désastreux modus moriendi, suivant la spirituelle expression de M. Léon Say. Autant il serait déraisonnable de la part des industriels et des commerçans de demander à l’Etat qu’il leur assurât un minimum de bénéfices, autant ils sont en droit d’exiger la sécurité, sans laquelle aucune œuvre n’est viable. Comment, en effet, élever la singulière prétention que des hommes sérieux, soucieux de conserver à leurs maisons le bon renom qui fait leur force, exposent aveuglément capitaux, marque et outillage dans des opérations au cours desquelles peut surgir inopinément une augmentation de droits se traduisant soit par l’équivalent de la totalité des frais généraux, — ainsi doublés du jour au lendemain, — soit par la perte sèche d’un capital considérable ? Nous doutons qu’ils s’y résignent et nous craignons qu’ils ne s’empressent de liquider leurs affaires. Quant à la création d’entreprises nouvelles, il y faut songer moins encore, car ce n’est pas sur le sable mouvant des changemens de droits à brûle-pourpoint que l’on pourra espérer d’édifier quoi que ce soit. Enfin, les petits commerçans, industrieux et honnêtes,