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nord de la même ligne, et qu’il s’engage à s’abstenir de toute action politique au nord de cette ligne. » Or, il y avait une interprétation allemande et une interprétation française de ces mots. D’après l’interprétation allemande, la France ne pouvait exercer aucune action politique au nord de la frontière méridionale du Cameroun, ainsi tracée jusqu’à sa rencontre avec le 15° de longitude est de Greenwich, ce méridien ayant été fixé dans toute sa longueur comme la frontière orientale du Cameroun. D’après l’interprétation française, ce même méridien de Greenwich n’avait été considéré que comme le point d’arrêt de la frontière sud, non comme une ligne pouvant être « prolongée indéfiniment », et l’on ajoutait, pour confirmer cette manière de voir, que M. de Freycinet, dans son exposé des motifs du projet de loi portant approbation de l’arrangement de 1885 et soumis à la Chambre des députés le 1er février 1886, constatait que « la limite commune dans la baie de Biafra avait été calculée de façon à réserver les droits reconnus à la France par la conférence de Berlin dans le bassin du Congo et dans celui de l’Oubangui. »

Nous n’avons pas l’intention de prendre parti pour l’une ou l’autre interprétation ; nous nous contentons d’exposer les faits d’une manière impartiale et d’en faire ressortir les conséquences.

La conséquence de l’interprétation allemande était que l’arrangement de 1885 avait définitivement donné à l’Allemagne tout le pays à l’ouest du 15° de longitude est de Greenwich, c’est-à-dire l’Adamaoua, une partie du Baghirmi, une partie de la rive méridionale du lac Tchad avec les bouches du Chari ; que, ce point étant irrévocablement acquis, les négociations à ouvrir ne devaient plus porter que sur les pays situés à l’est du méridien. Et, dévoilant par avance les convoitises nationales, la carte des possessions coloniales allemandes de Kiepert reculait indéfiniment jusqu’au bassin du Nil les limites occidentales du Cameroun, englobant ainsi dans cette colonie tout le Baghirmi, le Wadaï et le Kanem et fermant au Congo français toute issue vers le nord et vers l’est. En revanche, la conséquence de l’interprétation française était que la convention de 1885 n’avait donné ni frontière orientale, ni même frontière nord au Cameroun, et que, le pays à l’ouest du 15° de longitude ayant été laissé libre, non seulement l’Adamaoua, mais encore les centres importans de Ngaoundéré et de Tibati, devaient appartenir au premier occupant.

On conçoit qu’avec des vues si opposées les négociations ne pouvaient être que longues et difficiles. Ajoutez qu’au-delà du Rhin les ambitions étaient fort surexcitées. Au moment même où nos commissaires s’abouchaient avec les délégués allemands,