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direction du Congo, il opérait sa jonction avec M. de Brazza sur les bords de la Sangha. Revenu en Europe au commencement de 1892, Mizon en repartait quelques mois après pour l’embouchure du Niger, et au mois d’octobre de la même année remontait la Bénoué avec deux bateaux, la Mosca et le Sergent-Malamine, quand il eut la malchance de voir l’un d’eux s’échouer sur un banc de sable dans le voisinage du territoire du Mouri. Ce fut pour lui une occasion de nouer des relations avec le sultan du pays, de lui prêter son aide pour vaincre des noirs opposés à la circulation des caravanes, et d’obtenir de lui un traité qui plaçait son pays sous le protectorat de la France. Ces opérations de Mizon ne furent pas du goût de la Compagnie du Niger. Des notes comminatoires furent adressées par elle tant à Mizon qu’au gouvernement français lui-même. On connaît les diverses phases de la lutte engagée entre Mizon et la Compagnie : les attaques violentes de lord Aberdare contre l’explorateur français à l’assemblée générale des actionnaires du Niger en juillet 1893, la menace à lui faite par la Compagnie de couler ses bateaux, l’invitation du gouvernement français à Mizon de rentrer en France, la poussée de ce dernier sur Yola, le traité de protectorat qu’il affirma avoir conclu avec le sultan de l’Adamaoua, son départ d’Yola, la fermeture de ses factoreries et la confiscation de ses marchandises par les agens de la Royal Niger Company. Cette dernière mesure arbitraire était contraire aux stipulations de l’Acte de Berlin, qui déclare que « la navigation du Niger et de ses affluens est libre ; que les sujets et les pavillons de toute nation doivent y être traités sur le pied d’égalité, sans aucune distinction. » Mais la Compagnie paraît s’être peu préoccupée de conformer sa conduite aux prescriptions d’un acte qui cependant fait foi dans le droit public international. Elle veut garder pour elle seule le monopole de l’exploitation du Soudan central, et cherche systématiquement à écarter tout concurrent qui pourrait lui disputer la prépondérance commerciale et gêner son action future.

Sur le Haut-Oubangui et sur la Haute-Sangha, comme sur la Bénoué et le moyen Niger, l’œuvre accomplie par nos explorateurs avait été éminemment utile aux intérêts français. Crampel, Dybowski et Maistre avaient conclu des traités tout le long de la route qu’ils ont suivie. Le territoire des peuplades vivant sur les bords de l’Oubangui, du Chari, du Logoné et de la Haute-Bénoué se trouvait ainsi placé sous notre influence. Brazza avait annexé pacifiquement le bassin de la Sangha, et Mizon déclarait avoir fait accepter le protectorat de la France par l’émir d’Yola et les sultans du Bachama et du Mouri. Nous menacions à la fois les Anglais