Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 123.djvu/877

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seront soumis au pouvoir temporel qui les amendera. Amendés ainsi, ils seront présentés au roi qui les retournera aux Chambres politiques sous forme de projets de loi. En d’autres termes, pouvoir spirituel et pouvoir temporel seront deux conseils d’Etat chargés de mûrir les idées qui doivent plus tard devenir la loi, et ces idées ne peuvent venir que d’eux, les chambres politiques n’ayant que le droit d’en faire des mesures législatives.

C’est ici le plus complet et le plus clair de tous les systèmes de Saint-Simon.

Quelques différences, et considérables, qu’il y ait entre ces diverses conceptions, il faut convenir pourtant qu’elles ont toutes un point commun, l’aristocratisme intellectuel. Saint-Simon est un intellectualiste aristocrate. Il veut toujours que ce soit l’intelligence seule qui gouverne, ou plutôt que ce soit l’intelligence seule qui ait les idées, et qui ait le droit d’avoir des idées. Seulement, tantôt il penche à croire que ce sont les savans et artistes qui sont les membres les plus intelligens de la nation, tantôt il penche à croire que ce sont plutôt les industriels, et tantôt enfin il les met sur le même rang, les uns contrôlant les autres. Mais toujours c’est une aristocratie de l’esprit qu’il veut établir. Renan savait très bien, et il le disait, qu’il y avait des affinités assez nombreuses entre « Saint-Simon le Saint-Simonien » et lui.

Non pas que Saint-Simon oublie ou méprise le peuple. Non seulement il a toujours répété que c’est uniquement « pour le peuple » qu’il faut gouverner, ce qui, après tout, va de soi, mais encore il veut que le peuple, ce qui était nouveau alors, ait sa part dans le gouvernement, surtout le peuple des campagnes. Il estimait, vue très juste, qui a paru folle pendant une moitié de ce siècle, et que l’expérience a démontrée vraie, que le peuple est la partie de la nation la plus conservatrice, à la condition que ce soit le peuple tout entier, et non pas seulement le peuple des villes. « Les industriels agricoles sont la classe de la nation la plus intéressée au maintien de l’ordre. » Par conséquent il faudrait qu’ils fussent maîtres des élections. Le moyen ? Suffrage universel ? Non pas ; ou c’est inutile. Il suffirait de faire payer l’impôt direct incombant à l’agriculture, non par le propriétaire mais par le fermier. Le fermier n’en serait pas plus chargé, les fermages baissant aussitôt d’autant, et, ce que le propriétaire fait payer au fermier, parce qu’il le paie lui-même au fisc, le fermier ne le payant plus au propriétaire, mais au percepteur ; mais du coup, de par le cens (nous sommes sous la Restauration), le fermier deviendrait électeur et, par le nombre, deviendrait le roi des urnes. (Vues sur la propriété et la législation, 1818.) Le procédé est aussi ingénieux que la vue est juste. Il est probable