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trente-six ans lorsqu’il décéda et n’eût eu son pareil soit en probité et intégrité, soit en science et en connaissance de toutes bonnes lettres, s’il eût vécu… En un corps qui semblait assez frêle, il y avait des muscles et des nerfs bien forts et un très bon sang. » Son frère avait de ce même sang dans les veines. Lui aussi avait rendu des services au maréchal d’Ancre. Commissaire dans ce même procès de Magnat, il avait dirigé la procédure de façon à ce que le marquis et Dolé sortissent indemnes. Le favori l’envoya en mission en Savoie, puis le fit nommer premier président au Parlement de Bordeaux ; il devait en faire bientôt un secrétaire d’Etat, puis un garde des sceaux. Sa capacité ne paraît pas avoir été suffisante pour ces grands emplois. Après la chute du maréchal d’Ancre, il devait rentrer au Conseil d’Etat et, dans une situation plus modeste, rendre, toute sa vie, de sérieux services à l’homme qui avait été un instant son collègue dans le ministère, le cardinal de Richelieu.

Bullion, autre parlementaire d’origine, était encore une tout autre espèce d’homme. Bas de jambes, demi-bossu, rabougri, bon vivant, Bourguignon, aimant la table et le bon vin, homme de plaisanterie gauloise et de franche lippée, insinuant, adroit, tout à tous avec beaucoup de flair, de savoir-faire et de présence d’esprit, c’était, en somme, un drôle assez plaisant, un de ces hommes qui, par les coulisses, finissent par se glisser sur la scène. On le plaisantait ferme. Tallemant nous dit qu’un poète l’avait comparé à un baril bien plein et qu’on l’appelait familièrement « le petit cochon ». Il paraît qu’avec cette sorte de figure, il avait de grands succès auprès des femmes. Il se servait de ce moyen, comme des autres, pour pousser sa fortune. Il était parent de Sillery. Enveloppé dans sa disgrâce, il sut se retourner ; c’est vers cette époque qu’il fit la connaissance de l’évêque de Luçon et qu’il se mit à lui rendre des services obscurs que l’autre n’oublia pas. Il resta, toute la vie, un des plus dévoués serviteurs du ministre, souvent son conseiller, souvent aussi son souffre-douleurs, car le grand homme avait la plaisanterie un peu rude. Placé, plus tard, à la tête des finances, il prouva que, dans cette tête bizarre, il y avait de l’acquis, de la fidélité, une réelle aptitude aux affaires. Il soutint le fardeau des difficultés financières, suite de la politique de Richelieu, avec une capacité pratique qui fit de lui un auxiliaire utile et, au second rang, un bon serviteur de l’Etat.

De ces divers personnages, le plus intéressant, à coup sûr, était Claude Barbin. De tous, il était le plus mince au début, le plus considérable à la fin. Sorti d’on ne sait où, il était, sous Henri IV, procureur du roi à Melun. Quand Léonora venait à Fontainebleau, il lui portait des fruits de son jardin, lui donnait