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Quant au parti radical, ce serait une erreur de croire, d’après l’étiquette, qu’il ressemble, même de très loin, à ceux qui, dans l’Europe occidentale, reçoivent la même dénomination. Le parti radical comprend le pays presque tout entier ; il englobe les quatre cinquièmes de la population. Ces radicaux, qui ont pour eux les gros bataillons, sont plus particulièrement les paysans : ils vivent avec les popes des campagnes et s’appuient sur le clergé inférieur. Ils représentent une force immense, et ils en ont pris conscience. Le roi Milan n’a pas cessé de les combattre, mais n’est pas encore parvenu à les abattre. Il a inventé contre eux le parti progressiste, création artificielle et officielle, infime minorité composée d’hommes dévoués à sa personne et ayant lié plus ou moins leur fortune a la sienne. Ceux-ci, qui ont pour chef M. Garachanine, ne sont rien que par l’appui de la couronne, et naturellement la couronne n’a jamais trouvé en eux un appui solide. Eux seuls ont triomphé des derniers événemens : les libéraux se sont contentés de ne pas protester contre un coup d’État qui ne les visait pas directement. Quant aux radicaux, ils ont fait entendre de partout les protestations les plus énergiques, et Milan a aussitôt entamé contre eux une lutte d’extermination. Il est difficile de prévoir ce qui sortira de ce conflit. Depuis 1888, toutes les fois que le pays s’est prononcé, il l’a fait en faveur des radicaux, et ses sentimens ne sont certainement pas changés. D’autre part Milan a brûlé ses vaisseaux ; il s’est mis hors la loi ; il a engagé et il poursuivra l’aventure sans aucun ménagement. Il a en main la force administrative, politique et militaire, et il exercera par là sur les électeurs la plus formidable pression qu’on ait encore vue en Serbie, et même ailleurs. Or des exemples nombreux ont prouvé qu’une pression aussi violente n’est pas sans produire quelque effet.

Le nouveau président du Conseil, M. Nicolajewitch, ministre de l’intérieur, est un homme encore jeune, actif et entreprenant. Ancien radical, il s’est brouillé avec son parti, et n’en est que plus ardent à le traquer. Mais, pour le moment, ni M. Nicolajewitch, ni ses collègues n’ont grande importance ; le roi Milan est tout. Il a toujours aimé la mise en scène et n’hésite pas à donner de sa personne, c’est une justice à lui rendre, du moins dans les conflits purement politiques. Il a, si l’on veut, le courage civil ; seulement, il l’emploie mal. Son premier acte a été de faire signer par son fils un oukase qui le réintègre dans tous ses droits : supprimer une loi par un simple décret n’est qu’un jeu pour lui. Le décret en question a été promulgué le jour de Pâques, qui a sans doute paru bien choisi pour manifester cette nouvelle résurrection. Pourtant l’opinion s’est émue, les journaux se sont récriés : Milan a confisqué ces journaux. Ceux-ci en ont appelé à la justice, et ils ont trouvé des juges à Belgrade. Les tribunaux