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l’autre, cédant à l’instinct de la race et aux entraînemens du principe de nationalité, sortir de son orbite et graviter autour de Belgrade pour former la Grande Serbie. Chacun de ces petits royaumes des Balkans aspire à jouer un jour le rôle du Piémont, et à réaliser à son profit l’unité de sa race. Il est assez naturel que l’Autriche surveille ces tendances et les contrarie adroitement. C’est ce qu’elle ne manque pas de faire, et elle a trouvé dans le roi Milan un agent capricieux et fantasque, mais utile, de la politique qui sert si bien ses intérêts. On commence à comprendre ce que Milan est allé faire en Serbie, et il y a peu de jours encore on le disait assez ouvertement à Belgrade : peut-être le dit-on moins aujourd’hui que la terreur règne sur le pays. En 1882, Milan a signé avec l’Autriche une convention secrète, en vertu de laquelle les deux parties s’engageaient, non seulement à ne pas fomenter d’agitation l’une chez l’autre, mais à se donner un concours réciproque contre cette agitation. Il ne faut pas oublier que la Bosnie était alors insurgée. Milan promettait de livrer aux autorités austro-hongroises les agitateurs bosniaques qui passeraient la frontière ; en échange, l’Autriche s’emploierait à assurer à la Serbie les conquêtes qu’elle pourrait faire et à maintenir l’intégrité de son territoire. Sur cette assurance, Milan est parti hardiment en guerre contre la Bulgarie. On sait de quelle façon les choses ont tourné. Battu à Sliwnitza, Milan a été poursuivi l’épée dans les reins par le prince Alexandre de Battenberg ; mais, à peine celui-ci avait-il mis le pied sur le territoire serbe que le comte Khevenhueller, ministre d’Autriche, s’est interposé et a déclaré au prince Alexandre que, s’il faisait un pas de plus, les troupes autrichiennes entreraient en Serbie au secours des troupes serbes. Le prince Alexandre a dû se contenter de sa gloire ; quant à Milan, il était sauvé. Ces événemens se passaient en novembre 1885. L’Autriche avait rempli exactement les obligations du traité. Or ce traité, ayant été fait pour douze ans, est sur le point d’arriver à son échéance. Le roi Milan tenait naturellement à ce qu’il fût renouvelé. M. Simitch a-t-il réussi dans cette entreprise ? Nous l’ignorons, mais ce qui est hors de doute, c’est que, livrée à elle-même, la Serbie ne s’y serait jamais prêtée.

En tout cas, Milan ne pouvait pas compter pour cela sur le concours du parti radical, car les tendances de ce parti sont nettement favorables à la Russie. Il en est d’ailleurs à peu près de même du parti libéral, et c’est à tort qu’on établit souvent entre l’un et l’autre, du moins à ce point de vue, une distinction un peu arbitraire. Tous les vieux partis en Serbie ont des tendances russes, et le parti libéral est le plus ancien de tous. C’est le parti conservateur par excellence : il se compose des classes relativement riches et éclairées et du haut clergé. Son chef a été longtemps et est toujours M. Ristitch, l’ancien régent.