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peut-être poussé à se jeter dans une aventure dont il n’a pas tardé à comprendre le danger. Nommé président du Conseil, l’histoire anecdotique de son court ministère est des plus curieuses. C’est à peine si on l’a aperçu à Belgrade. Il n’a eu que le temps de comparaître devant la Skouptchina pour y lire son programme de gouvernement, et il allait faire suivre cette lecture de celle du décret de clôture de la session, lorsque l’assemblée, saisissant prestement le joint, a voté contre lui une motion de blâme. Ce début était peu encourageant. M. Simitch s’attendait bien à rencontrer des difficultés intérieures, mais il espérait trouver de l’appui au dehors, et, pour plus de sûreté, il est allé le solliciter lui-même. Il s’est rendu de Belgrade à Vienne, puis à Rome où il a négocié avec le Vatican pour l’établissement en Serbie de la hiérarchie catholique, puis de nouveau à Vienne, où le gouvernement autrichien a trouvé que sa présence se prolongeait beaucoup. Il aurait surtout désiré aller à Saint-Pétersbourg, mais le tsar lui a fait dire qu’il ne le recevrait pas, et qu’il refusait de s’occuper des affaires de Serbie aussi longtemps que le roi Milan resterait dans le pays. M. Simitch n’avait plus qu’à revenir à Belgrade, ce qu’il a fait après un mois d’absence. Là, dès la première réunion du conseil des ministres, il s’est aperçu qu’il n’était pas d’accord avec ses collègues sur l’attitude à prendre à l’égard des partis, et notamment des radicaux. Il rêvait la conciliation et l’apaisement ; les autres ministres, inspirés par Milan, rêvaient déjà, ou plutôt préparaient des violences. M. Simitch a donné sa démission, et il a repris tranquillement à Vienne son poste de diplomate. Son équipée était terminée.

A-t-elle été pourtant aussi insignifiante que les apparences pourraient le faire croire ? Rien n’est moins sûr. Le gouvernement autrichien affecte de ne pas s’occuper des affaires de Serbie. Il déclare très haut n’être pour rien dans la résolution du roi Milan, pas plus, d’ailleurs, qu’il n’a approuvé jadis celle du prince Ferdinand, lorsque celui-ci est allé occuper le trône de Bulgarie. En réalité l’Autriche poursuit dans les Balkans, avec beaucoup de discrétion dans la forme, mais avec une très grande ténacité dans le fond, une politique inspirée par de vieilles traditions, soutenue par une admirable persévérance, et dont le succès prend chaque jour plus de consistance. Le Danube, aujourd’hui, est jusqu’à son embouchure un fleuve autrichien. La Roumanie, gouvernée par un Hohenzollern, suit les inspirations de la triple-alliance. La Bulgarie, gouvernée par un Cobourg, obéit à celles du cabinet de Vienne. Reste la Serbie, le seul point où l’influence russe se fasse encore sentir. L’Autriche tient essentiellement à garder ce petit pays dans sa main. Elle a besoin d’y être forte, ne fût-ce que pour l’empêcher de devenir lui-même trop fort. Elle n’oublie pas, en effet, que les trois quarts des Serbes sont sur son propre territoire, et qu’ils pourraient un jour ou