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souverain. L’année dernière, il avait été inspiré par son ancien précepteur, M. Dokitch, et il avait alors été bien conseillé. Depuis, M. Dokitch est mort, et Alexandre est retombé sous l’influence de son père, le roi Milan, personnage trop connu de l’Europe pour qu’il soit utile de faire son portrait. Pourquoi Milan a-t-il quitté brusquement les plaisirs de Paris et est-il rentré à Belgrade ? C’est ce qu’on n’a pas très bien compris au premier moment. La médisance, établissant sur le passé des conjectures assez vraisemblables, a fait courir le bruit qu’il avait besoin d’argent. Que ne donnerait-on pas à Belgrade pour se débarrasser de lui ? Il semblait pourtant que la Serbie devait être à l’abri d’un retour offensif de l’insatiable prodigue. En 1891, lorsqu’une situation à tous égards embarrassée avait amené Milan à monnayer tous ses droits et prérogatives, il avait renoncé argent comptant à la tutelle de son fils mineur, à son grade de général, et même à sa qualité de sujet serbe. Cette renonciation avait été formulée dans une lettre adressée aux. Régens, et communiquée par eux à la Skouptchina. Celle-ci, au lieu de se borner à en prendre acte, avait cru mieux faire en la convertissant en loi. La loi avait besoin de la sanction des Régens ; elle a été sanctionnée par eux. Il ne restait qu’à payer à Milan une somme de 2 millions. La Skouptchina, justement défiante comme l’événement l’a prouvé, hésitait à inscrire la somme au budget : elle a été fournie par la Russie. Pour sauver les apparences, l’avance a été faite par la banque de Saint-Pétersbourg Volga-Kama, qui a pris hypothèque sur les biens de la famille des Obrénovitch, ou plutôt du roi Alexandre. L’hypothèque n’avait aucune valeur juridique, mais cela importait peu : on n’avait pas à Saint-Pétersbourg l’intention de jamais réclamer l’argent donné. On se contentait de l’engagement du roi Milan de ne plus remettre les pieds en Serbie, promesse qui avait été faite dans des termes tels que tout autre se serait considéré comme tenu d’honneur à s’y conformer. Mais Milan n’a pas de ces scrupules, et il l’a montré.

Si on a cru d’abord qu’il venait à Belgrade pour arracher à ses anciens sujets une nouvelle subvention, on s’est aperçu assez |vite que ses projets avaient une autre portée. Sa présence sur le territoire serbe étant déjà une violation de la loi, le ministère radical présidé par M. Grouitch a immédiatement donné sa démission. Le roi Milan s’attendait à cette résolution ; il l’aurait provoquée au besoin. Son dessein était, en effet, de déclarer une guerre à mort au parti radical et de le remplacer au pouvoir par les libéraux, ou mieux encore par les progressistes. Aussi, en allant de Paris à Belgrade, s’était-il arrêté à Vienne, et s’était-il fait suivre du ministre serbe dans cette ville, M. Simitch. M. Simitch n’est pas un homme politique, c’est un diplomate : toutefois, il appartient au parti libéral. Très dévoué à la famille royale, et plus particulièrement à la reine, des sentimens de loyalisme l’ont