Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 123.djvu/708

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’hameçon, devinrent pêcheurs et ichthyophages ; que ceux qui vivaient dans les forêts, s’étant fait des arcs et des flèches, devinrent chasseurs, et qu’ils n’ont cessé de l’être que le jour où, ayant appris à fondre et à forger les métaux, ils s’avisèrent d’avoir des champs d’où ils tiraient leur subsistance : « La métallurgie et l’agriculture, disait Rousseau, sont les deux arts qui produisirent cette grande révolution. Aussi l’un et l’autre étaient-ils inconnus aux sauvages de l’Amérique, qui pour cela sont toujours demeurés tels. » Or il se trouvé que les Indiens du bassin du Congo sont restés des peuples chasseurs et pêcheurs, et à vrai dire, la pêche n’est pour eux qu’une autre espèce de chasse, car n’ayant inventé ni l’hameçon ni la ligne, c’est à coups de flèches qu’ils tuent le poisson. Mais il se trouve aussi que depuis des temps immémoriaux ils cultivent le maïs, le manioc, la patate, l’arachide, la fève, les cucurbitacées. Sans cesser d’être chasseurs, ils sont devenus agricoles et sédentaires, et sans connaître l’usage des métaux, ces grands enfans ont appris à ne plus vivre au jour le jour et acquis la prévoyance du besoin à venir.

Pourquoi, pratiquant depuis si longtemps l’agriculture, la chasse est-elle restée leur principale affaire ? On pourrait alléguer qu’il leur plaît de varier leur nourriture et d’oublier l’aigreur d’une bouillie de manioc en se régalant d’une côtelette de singe ou d’un bifteck de tapir. Mais la vraie raison est que, s’ils cessaient de pêcher et de chasser, ils ne sauraient plus comment se procurer les outils dont ils ont besoin pour construire leurs maisons et cultiver leurs champs. On qualifie d’âge de pierre les siècles pendant lesquels l’homme ignora l’art de travailler les métaux ; l’expression n’est pas rigoureusement exacte. Pour avoir des haches de pierre, il faut avoir une pierre qui se laisse tailler et polir, et, parmi les Indiens du bassin du Chingu, les Trumaïs et quelques Suyas sont les seuls qui jouissent de ce précieux avantage. Pour les sauvages des bords du Balovy, du Kulisehu et du Kuluëne, les haches de pierre sont un article d’importation, et ce sont les Kumaïs qui les leur fournissent. Les outils qu’ils fabriquent eux-mêmes sont faits avec des coquilles, des os, des dents de poissons ou de mammifères, et c’est à la chasse ou à la pêche qu’ils doivent avoir recours pour se procurer l’outillage nécessaire à l’agriculture et à la vie sédentaire.

Au surplus ces grands enfans sont de grands économistes. Comment devaient-ils s’y prendre pour avoir à la fois du maïs et des dents de jaguar ? Ils ont résolu le problème par la division du travail. C’est l’homme qui chasse et qui pêche, c’est la femme qui cultive les champs. C’est l’homme qui fabrique les outils, c’est la femme qui fait les pots ; c’est l’homme qui fait rôtir la bête qu’il a tuée, c’est la femme qui apprête le maïs et le manioc. L’Indienne du Brésil central