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n’est pas moins fière et fervente que l’Apollon. Il est impossible d’affirmer, avec plus de résolution et d’éclat, que la fermeté du dessin et l’énergie du mouvement sont les qualités décisives du peintre. Cette protestation du vaillant artiste, au milieu du désarroi général des convictions et de l’amollissement croissant du métier, a d’ailleurs été entendue comme elle devait l’être : le public, las de tant de fadeurs amorphes, a tout de suite applaudi ; les jeunes gens qui croient encore aux vertus du dessin peuvent reprendre courage.

De ce que le plafond de M. Bonnat, dans son style sculptural, viril et hautain, nous semble un bon ouvrage, il ne s’ensuit pas, tant s’en faut, qu’on ne puisse exécuter autrement un plafond, qu’on ne puisse en faire une vision plus colorée et plus nuancée, avec des figures plus légères et plus souples. On doit même reconnaître que le système de M. Bonnat est des plus dangereux, et qu’on ne saurait engager des virtuoses ordinaires à s’y risquer. Toutefois, dans un plafond, comme ailleurs, quel que soit le parti pris, il est bon, il est juste que le peintre s’y préoccupe à la fois de l’effet matériel et de l’expression intellectuelle, car, bon gré mal gré, dès qu’il y a un sujet à traiter, il y a une expression intellectuelle à chercher, et, à mérite égal d’ouvriers, celui qui nous intéressera l’esprit en même temps que les yeux sera le plus grand artiste. C’est par la puissance de leur réflexion autant que par la chaleur de leur pinceau que Géricault et Delacroix ont été les plus grands peintres de leur génération, comme l’avaient été de la génération précédente Louis David et Prudhon. Si notre école est relevée de son affaissement, soyez bien certains que ce ne sera pas par un pauvre d’esprit ou par un ignorant.

En général on peut affirmer que plus un artiste analyse et approfondit les particularités de son sujet, plus il y trouve d’élémens d’intérêt et de nouveauté, non seulement pour le fond, mais encore pour la forme. Si M. Debat-Ponsan, par exemple, dans son plafond pour l’Hôtel de Ville de Toulouse, s’était efforcé d’imprimer un caractère plus spécial, plus méridional, aux aimables Nymphes, filles de Toulouse, portant la palette, le compas, l’ébauchoir, qui font la ronde, en plein azur, autour de leur mère, n’eût-il pas mieux réjoui nos yeux, n’eût-il pas mieux dit ce qu’il avait à dire ? Si M. de Quinsac, représentant, dans un plafond aussi, l’Apothéose de Gutenberg, avait pris à tache de restituer plus exactement la physionomie du vieil imprimeur et de donner aux allégories environnantes des types et des accessoires plus significatifs, n’aurait-il pas pu faire, au lieu d’un décor agréable et banal, une composition intéressante et personnelle ?