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études de prolétaires, ouvriers, mères, nourrices, que M. Roll a faites d’après nature, ce semble, et dont l’une même, la plus touchante et la plus poignante, s’intitule Exode. C’est la même pensée que chez M. Uhde, et la sincérité de l’affection et des angoisses partagées respire dans les attitudes comme dans les expressions du couple en fuite. Malheureusement, M. Roll, qui s’entend cependant à mettre une figure à son point, s’est contenté le plus souvent d’indications sommaires et assez confuses, et ce sont là des intentions d’excellens tableaux plutôt que des tableaux.

Aux Champs-Elysées aussi, on remarque quelques artistes religieux et bon nombre de peintres donnant dans la religion : ce sont parfois ceux-là mêmes qui pratiquaient hier le réalisme démocratique et tomberont demain dans le mysticisme moyenâgeux, si cette nouvelle forme du dilettantisme ennuyé et inquiet de nos contemporains devenait, à son tour, la mode pour les nigauds et les marchands. On ne peut, à vrai dire, demander aux peintres plus de convictions stables et de foi solide que n’en ont, de notre temps, les hommes d’Etat, les philosophes, les écrivains, dont c’est pourtant le métier de penser. Peut-être même leur meilleur privilège, quelques-uns diraient leur utilité sociale, est-il pour eux, comme pour la plupart des poètes et des musiciens, cette faculté de refléter, presque inconsciemment, les tergiversations morales et intellectuelles de la société qui les inspire, comme ils reflètent les aspects variés et changeans de l’univers qui les éblouit et les passionne. Pourvu qu’ils aient la sincérité du moment, ne leur en demandons pas davantage ; souvenons-nous que Pérugin, le fournisseur attitré des dévotions italiennes, l’admirable créateur de tant de saints extasiés, ne put jamais, au dire des contemporains, faire entrer dans sa cervelle de pierre l’idée de l’immortalité de l’âme, et souvenons-nous que l’auteur de la Cène exemplaire et définitive, le grand Léonard de Vinci, fut un des penseurs les plus libres que la Renaissance ait connus, libre au point de tout comprendre et de tout exprimer.

Les grandes toiles de M. Douillard et de M. Monchablon, Mater Dei et Venite adoremus, destinées à remplir dans les absides de quelques chapelles le rôle complémentaire que le moyen âge réservait justement à des décorations plus solides, la mosaïque ou la fresque, témoignent d’une fidélité consciencieuse à la tradition. La Vierge de M. Douillard est d’un caractère assez noble, et la disposition, sur deux rangs, d’une troupe fort nombreuse d’anges vêtus de blanc sur fond doré, dans la composition de M. Monchablon, n’y semble monotone qu’à cause de la monotonie d’un type aimable et doucereux trop également répété. On sait