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Samaritaine à la Fontaine, et bien d’autres développent des fonds charmans ou grandioses, d’un effet délicieux dans leurs petites dimensions, et, comme chez les Quattrocentisti, les personnages, loin de s’y perdre, en sont raffermis et ennoblis, dans la vivacité parlante de leurs allures. L’observation, si bienveillante et tendre de M. Tissot lorsqu’il l’applique aux enfans et aux femmes, devient plus profonde et plus haute lorsqu’il l’applique aux hommes. Ses études sur le vif, pour les Apôtres, sont particulièrement remarquables. Il ne craint pas, au besoin, la malignité et la satire : la populace de Jérusalem, hurlant, des palmes à la main, les Tartufes du Temple et toute la canaille acclamant Barrabas, sans parler des Bridoisons officiels et des Pandores romains, sont présentés avec une ironie grave qui ne détonne pas dans l’ensemble dramatique. Comme nous l’avons dit, c’est dans les dernières scènes, celles de la Passion et du Calvaire, que M. James Tissot s’est le moins complètement soustrait à la tyrannie des réminiscences. Quelque effort qu’il fasse (il en fait souvent là encore de très heureux ! ) il n’y peut oublier toujours, surtout dans les gestes et les expressions de la grande victime, comment ses puissans devanciers, Mantegna, Michel-Ange et d’autres, ont déjà réalisé ce type de l’Homme-Dieu. Comment serions-nous surpris qu’un peintre du XIXe siècle, dans un temps de dilettantisme sceptique, ne soit pas arrivé à modifier l’idéal d’un Dieu précisé par de pareils génies, en des siècles de foi ? C’est pour nous déjà un sujet suffisant d’étonnement et d’admiration que, par la seule force de l’observation juste et de l’émotion sincère, il ait modifié autour de lui tout le reste !

Quel que soit le parti qu’on prenne vis-à-vis des légendes religieuses, qu’on les aborde en homme de foi avec une entière soumission aux formules orthodoxes, ou qu’on les interprète en poète et en philosophe avec toute liberté, il n’est point permis de le faire sans respect et sans émotion. Nous voulons donc penser que tous les peintres, assez nombreux, qui, en ce moment, se reprennent à des sujets chrétiens, obéissent à leurs propres tendances et ne se conforment pas seulement à une mode. Cependant, soit qu’ils s’y trouvent insuffisamment préparés par leurs travaux habituels, soit qu’ils se trompent eux-mêmes sur l’intensité et la fermeté de leurs sentimens, la plupart n’aboutissent qu’à des conceptions assez banales et d’une médiocre portée. Les libertés qu’ils prennent en fait de costumes et de types, à l’exemple des Quattrocentisti et de Rembrandt, ne suffisent pas toujours à leur donner le sens de l’observation naïve et pénétrante non plus que celui d’une commisération profonde et communicative, et comme, chez beaucoup d’entre eux, le