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chacun de ses habitans les inappréciables bienfaits de la société. » Si l’agriculture manque de bras, qu’elle prenne des machines. « Moins de personnes seront employées à fournir les matériaux bruts de l’existence, plus on en aura d’occupées au développement du confort, de l’art, et du bien-être spirituel. » Évidemment il n’y a pas de déclassés aux États-Unis.

Sous l’influence d’idées aussi catégoriques, le cercle des hautes études s’est singulièrement élargi, depuis ces derniers temps surtout, et les universités américaines se sont multipliées à l’envi. Nul n’ignore qu’il faut distinguer dans le nombre. Quelques-unes, principalement parmi les nouvelles, malgré leur titre d’université, malgré les dotations et le patronage officiels, promettent peut-être plus qu’elles ne donnent. L’Europe n’a pas le monopole des programmes grandioses sur le papier. D’autres, au contraire, avec leur nom modeste de collège et leur indépendance complète, sont des universités de premier ordre. Naturellement, les grades diffèrent de valeur suivant la qualité variable des corps enseignans qui les accordent. On assure même que, dans certains établissemens d’instruction soi-disant supérieure, les diplômes s’acquièrent souvent par des moyens auxquels la science paraît étrangère et sont conférés mettons honoris causa. Ce sont là des abus inséparables de la liberté. Les gradués d’Amérique, dont l’intérêt est d’éviter toute équivoque, mentionnent simplement la provenance de leurs grades.

Cette organisation spontanée de l’enseignement supérieur aux États-Unis peut manquer d’ensemble ; rien d’harmonieux, ni de symétrique ; on a voulu faire vite et beaucoup. Mais quelle vitalité puissante dans l’élan tumultueux des bonnes volontés ! Quel progrès constant des études scientifiques, même parmi les fondations récentes ! Quelle généreuse ardeur à lutter avec les rivales des États de l’Est, qui possèdent l’avantage de l’expérience et le prestige des services antérieurs ! Pour peu qu’une méthode sûre coordonne et dirige les efforts, le succès y répondra encore mieux. Les jeunes universités d’Amérique n’ont que des encouragemens à trouver dans l’histoire de leurs devancières, si chétives au début et si florissantes aujourd’hui.

La plus ancienne de toutes et la plus justement célèbre, Harvard College, fut à l’origine une petite école, fondée en 1636 par les puritains du Massachusetts, et constituée deux ans après avec l’aide et le concours pécuniaire de John Harvard, ministre non conformiste venu de Cambridge où il avait pris ses degrés au collège Emmanuel. Cependant le nom même de la grande université anglaise était donné à l’humble berceau du collège