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est devenue elle-même une industrie déjà florissante. L’exposition de Chicago montrait plusieurs paliers à billes pour machines dynamo-électriques et un curieux dispositif d’ascenseur, dans lequel une série de billes d’acier circule indéfiniment entre la vis et l’écrou.

Faute d’innovation, on excelle en Amérique à tirer parti des inventions antérieures, auxquelles nous ne savons pas toujours demander les services qu’elles pourraient nous rendre. Qui ne connaît le phonographe d’Edison ? Mais il ne figure chez nous qu’à titre de curiosité scientifique ou d’amusette. Parfois, dans certains banquets à l’heure douloureuse des toasts, le petit appareil, solennellement apporté sur la table, répète d’une voix enrouée le compliment de circonstance qu’un illustre étranger adresse au président de la réunion. Nous en avons fait aussi des poupées savantes.

Aux États-Unis, le phonographe est devenu un auxiliaire quotidien, une façon de secrétaire complaisant et ponctuel. L’Américain rentre chez lui le soir, après une journée laborieuse. Sénateur, député, ingénieur, banquier, journaliste, commerçant, avocat, professeur, il doit composer un discours ou un article, préparer une leçon ou un mémoire, rédiger sa correspondance. L’écriture, quel supplice ! Qui ne l’a maudite mille fois parmi les esclaves de la plume ? Le papier refroidit l’inspiration ; on ajoute, on efface, on retouche. Peut-être la correction y gagne-t-elle : ainsi pensait le vieux Boileau. Mais c’était un bourgeois de lettres, qui écrivait à ses heures. Allez donc imposer pareil travail à l’homme moderne, emporté dans le tourbillon des business. Heureusement Edison a pourvu aux besoins de son temps et de son pays. Grâce à lui, l’Américain parle son discours, son rapport, sa leçon ; le phonographe docile enregistre et redit fidèlement le lendemain l’improvisation de la veille, qu’une miss matinale transcrit aisément au moyen de la machine à écrire. Voilà donc du même coup le monologue introduit dans la vie réelle et réhabilité au théâtre. Nul ne l’accusera plus d’être un artifice de l’art dramatique, contraire à la vérité. Désormais, l’Auguste de Corneille pourra débiter son long monologue sans choquer la vraisemblance, pourvu qu’il ait devant lui un phonographe.

Nous ne parlons pas ici de l’idée consistant à faire du phonographe un professeur de déclamation ou de chant. Sa voix ne nous semble pas encore assez nette pour lui permettre de jouer utilement ce rôle. On avait bien essayé quelque chose en ce genre à l’exposition de Chicago : le phonographe donnait une leçon