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(il y avait, en effet, des chances pour qu’il connût cette démarche), et ce serait encore un moyen d’agir sur lui, de le tenir : le bénéfice était probable. M. de Bismarck expédia à Home son secrétaire, le docteur Busch, chargé d’offrir au cardinal Jacobini, pour le Saint-Siège, une retraite sûre, environnée d’honneurs et de respects, à Fulda[1]. Le cardinal répondit, au nom du Souverain-Pontife, que ce n’était pas Fulda qu’il lui fallait, que c’était Borne, et cette réponse, qui était la plus naturelle, était aussi, d’une part, la plus embarrassante et, de l’autre, la plus favorable qu’on pût faire à M. de Bismarck.

Du point de vue italien, la position était celle-ci : M. de Bismarck reconnaissait que la papauté n’était pas suffisamment indépendante à Rome et il se déclarait prêt à lui procurer cette indépendance ; le pape répondait que c’était à Rome seulement qu’il pouvait, en reconquérant son indépendance, exercer sa souveraineté. Ce fut, est-il besoin de le dire ? un beau tapage dans la presse, qui ne laissait pas à Depretis une minute de répit : M. de Bismarck veut « nous jeter le Pape dans les jambes » ; tout de suite parons le choc, jetons-nous dans ses bras ! La solution se fera ou avec l’Italie ou contre l’Italie. Il faut pourtant bien en finir avec le désir féminin de plaire à tous. M. Depretis est là en suspens, entre le oui et le non : Pende tra il si e il no, si tiene in bilico. Qu’attend le président du conseil ? S’il croit que la paix puisse être maintenue, que perd-on à contracter une alliance ? S’il croit qu’elle ne puisse pas l’être, que peut-on perdre à s’allier au plus fort ? Ce que l’on peut perdre, M. Depretis et M. Mancini en ont le sentiment : « Modeste et tranquille, dit le Popolo romano (c’est M. Depretis qui le dit officieusement), l’Italie n’a point renoncé et n’est point disposée à renoncer à sa dignité. Nous désirons l’amitié de toutes les puissances, en particulier des États voisins, mais nous ne plierons jamais le genou devant personne et nous ne ferons jamais une politique qui ne soit pas une politique italienne, politique de paix avec dignité. » M. Mancini écrit dans le même sens et presque dans les mêmes termes au comte de Launay. Le roi, enfin, aux réceptions du 1er janvier, le confirme de sa bouche à la délégation de la Chambre : « Ce qu’il importe de montrer, c’est que nous sommes et voulons rester les maîtres dans notre maison[2]. »

L’Italie, après tout, n’est pas une quantité négligeable. C’est une nation de trente millions d’âmes. — Oui, riposte, dans un journal italien, un diplomate dont on ne nous dit pas le nom, mais qui ne doit pas être italien ; oui, une nation de vingt-huit ou trente millions

  1. Chiala. p. 228 et suiv.
  2. Chiala, p. 243 et suiv.