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être de cet avis : « Laissons mûrir les choses et ne précipitons rien. » Un rapprochement trop souligné avec les deux États, à si peu de temps des incidens de Tunis, aurait l’air « d’une pointe vers la France », et, si ce n’est point à cela que pense l’Italie, M. de Haymerlé n’y pense que pour l’éviter. L’Autriche est très heureuse, mais, pour l’instant, il lui suffit — c’est encore M. de Robilant qui le dit — « de vivre en paix avec l’Italie »[1]. À cette paix qui est visible, évidente, éclatante, M. Mancini ajoute des déclarations d’amitié : fleurs et fruits ; M. de Haymerlé remercie, mais vraiment il ne saurait accepter davantage. L’ambassadeur d’Italie ne cesse d’avertir ses compatriotes ; du calme et, pour employer le mot le plus sûrement italien de tout le vocabulaire, de la patience, patienza ! « Soyons en même temps adroits et fiers, soyons dignes et politiques ; ne forçons point la mesure. »

M. de Robilant le répète tant et si bien qu’il croit avoir été compris. Il croit que c’est fini, que le voyage est ajourné, que l’affaire est enterrée et qu’il peut prendre son congé ; que ses cris ont couvert l’appel des « Sirènes viennoises ». Il vient tranquillement passer la saison dans ses terres. M. Mancini, pour sa part, est en villégiature à Capodimonte, M. Depretis est à Stradella, le roi Humbert est à Monza. Un beau matin, M. de Robilant reçoit un télégramme de Mancini : on le prie de se rendre à Capodimonte. Il y va, le 7 octobre, et le ministre des Affaires étrangères annonce à l’ambassadeur d’Italie près l’empereur François-Joseph que le voyage à Vienne est décidé, que M. Depretis et M. Mancini accompagneront le roi et que lui, M. de Robilant, il n’a plus qu’à prendre les ordres à Mon/a et à rejoindre son poste, afin de préparer les logis. M. de Robilant est « surpris », « irrité »[2], mais trop militaire pour ne point le marquer, il est trop diplomate pour ne pas s’incliner à la fin. C’était tout le cas qu’on faisait de ses conseils, et pourtant il ne croyait pas avoir épargné les paroles sévères, celles qui, dites d’un certain ton, devraient être entendues des pires sourds eux-mêmes, des ministres et des peuples qui ne veulent pas entendre. Mais, puisque le roi, M. Depretis, M. Mancini et toute l’Italie le voulaient, il n’y avait qu’à courir l’aventure, à s’en tirer le moins mal, à en tirer le plus de bien possible. Car il va sans dire que ce voyage en grand appareil, avec président du conseil, ministre des Affaires étrangères, suite de cour et suite politique, ne peut pas être, ne doit pas être une de ces visites polies, mais indifférentes, que les souverains, quand ils sont de loisir, se rendent de temps en temps les uns aux autres. Le jour où le roi part pour Vienne, il y

  1. Chiala, p. 38.
  2. Ibid., p. 109.