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plusieurs traits qui la distinguent en bien ou en mal ; notons les plus saillans. En premier lieu, et par définition, la richesse mobilière est plus mobile ; elle se fait et se défait plus vite ; elle change plus souvent de mains, comme elle change d’aspect et de composition ; elle est sans cesse en transformation ; elle se réduit comme elle s’enfle, et s’affaisse comme elle s’élève. Pareille à la mer, elle a son flux et son reflux, ses accalmies et ses tempêtes ; elle monte et elle baisse sans repos, avec les variations incessantes des prix et les crises périodiques de l’industrie et du commerce. Par là même, elle ouvre à l’intelligence, à l’esprit d’initiative et à l’esprit d’aventure, aux bonnes et aux mauvaises passions, un champ que ne leur offrait point la richesse foncière, de sa nature pesante et stable, comme le sol sur lequel elle repose. La richesse mobilière vit de mouvement ; elle provoque l’imagination, elle stimule l’invention et fait sans cesse appel au calcul. Elle est, en grande partie, œuvre de l’esprit ; elle mot davantage en jeu les facultés intellectuelles ; elle invite à la spéculation et provient souvent de la spéculation, autant que du travail et de l’épargne.

Ce n’est pas à dire, comme le prétendent les socialistes, que la fortune mobilière soit toujours viciée dans son principe. Rien de plus faux : elle n’est pas, nécessairement, le produit du vol ou du jeu. Il n’est pas vrai qu’elle sorte uniquement du monopole, de l’accaparement ou de la spéculation ; et la spéculation même peut être souvent utile et légitime. Nous avons quelque honte à rappeler des vérités aussi simples ; mais il y a, en ces matières, jusque dans les classes qui se disent éclairées, tant de préjugés et de sophismes que nous y serons souvent contraints. Loin de toujours provenir de sources illicites, la richesse mobilière a cet avantage sur la propriété foncière d’être, plus manifestement, le produit de l’intelligence et de l’activité humaine. Elle est souvent, à la lettre, une création du génie de l’homme. On ne saurait lui faire l’objection adressée tant de fois, dès avant Henry George, à la propriété foncière, que l’individu n’a pas le droit de s’approprier les forces de la nature, partant les forces du sol. A cet avantage théorique s’ajoutent des avantages pratiques de grande conséquence. A l’inverse de la fortune territoriale qui ne peut s’étendre, ni se fractionner au-delà de certaines limites, la fortune mobilière est extensible, comme elle est divisible, à l’infini ; si bien que, jusque dans les pays les plus peuplés, on peut la dire accessible à tous.

Laissons les socialistes répéter, sur la foi de Marx-Mordecai, le juif allemand, que le capital mobilier est le fruit d’un prélèvement dissimulé sur le travail d’autrui ; ce n’est pas ici le lieu de discuter cette thèse, tant de fois réfutée par de plus compétens