Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 123.djvu/487

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et voilà comment elle a perdu aussi la Tunisie. Il faut convenir que ces confidences publiques sont un peu singulières dans la discussion du budget des affaires étrangères, et que MM. Crispi et Blanc ont semblé, après s’être partagé les rôles, plaider plutôt le premier pour le budget de la guerre et le second pour le budget de la marine.

On assure que le discours de M. Crispi a produit une vive impression à Trieste, dans la colonie italienne. Peut-être n’a-t-il pas été aussi favorablement accueilli à Vienne. Grattez le ministre, et vous trouverez aussitôt l’irrédentiste. M. Crispi a affirmé que, si l’Italie sortait de la triple Alliance, elle ne tarderait pas à être menacée à l’orient : assertion surprenante, car il y a beau temps que l’Autriche a fait son deuil des provinces qu’elle a perdues, et toutes ses préoccupations aujourd’hui sont tournées dans un autre sens. Elle désire toutefois conserver intact ce qui lui reste encore du côté de l’Italie, ces « Alpes orientales » qu’elle détient et dont la perte cause à M. Crispi des regrets si cuisans qu’il ne peut s’empêcher d’épancher ses doléances à la tribune, au risque de laisser voir avec évidence que la France n’est pas le seul pays qui n’ait pas lieu d’être absolument satisfait de la distribution politique des territoires de l’Europe. Il est certain que l’aveu retentissant de ces regrets serait de nature à éveiller quelques susceptibilités à Vienne, si l’Italie ne faisait pas docilement partie de la Triple Alliance. Le jour où elle en sortirait, est-ce vraiment l’Autriche qui menacerait l’Italie ? Ne serait-ce pas plutôt l’Italie qui menacerait l’Autriche ?

Quoi qu’il en soit, les deux discours de M. Crispi et de M. le baron Blanc ont tranché sur la monotonie des discours officiels : et ont permis d’entrevoir des dessous qu’on prend d’ordinaire plus de souci de ne pas découvrir. Est-ce à dire qu’il faille s’en inquiéter ? Non, certes ! Les deux ministres ont prodigué les assurances pacifiques, et ils sont sincères. Tout le monde voulant la paix, ils la veulent avec tout le monde. Tout le monde multipliant les armemens pour la mieux assurer, ils les accumulent de leur côté. Pourquoi ? M. Crispi l’a fort bien expliqué. On fera son possible afin d’éviter la guerre ; mais, si elle éclate, on veut être prêt. À quoi ? Les regrets exprimés le laissent deviner. Les armemens coûtent cher, mais l’argent ainsi employé ressemble à celui qu’on met à un terne qui sortira un jour ou l’autre et, à Rome, on considère généralement l’argent mis à la loterie comme très bien placé. On peut d’ailleurs se rassurer au delà des Alpes orientales : le fait qu’elle est dans la Triple Alliance prouve avec la plus grande vraisemblance que ce n’est pas contre l’Autriche que l’Italie a placé son enjeu.


En Hollande, depuis l’échec électoral qu’il a éprouvé, la chute de M. Tak de Poortvliet était inévitable : il s’agissait seulement de savoir comment il serait remplacé. On connaît l’origine de la crise. Séduit