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toujours respectueuses, ses dépêches sont nettes et fortement déduites.

Condé finit par avoir gain de cause, un peu tard sans doute, mais encore en temps utile, grâce à la désunion et aux lenteurs des alliés. Le Roi s’est rendu, ne parle plus de sièges, réserve la question : « Ce ne fut pas la moindre victoire de M. le Prince, » écrivait son fils. Les yeux du ministre se sont dessillés ; il rend tout ce qu’il a pris. Dans les premiers jours d’août, les troupes détachées par ordre rentraient au camp du Piéton; M. le Prince voyait arriver, avec les beaux escadrons de la Maison du Roi, celui qui saura les conduire, Fourilles, notre premier officier de cavalerie; Montal est là pour entraîner l’infanterie. Enfin Condé se sent rassuré par la présence de Luxembourg, ce lieutenant incomparable, digne de prendre la première place si la goutte ou le feu la rendait vacante.

Au même moment, les confédérés achevaient leur concentration vers Nivelles. Ils sont plus de soixante mille hommes; M. le Prince n’en a pas quarante-cinq mille. Admirablement éclairé, il observe, connaît les préparatifs des ennemis. Sourd à leurs provocations, il laisse croître leur confiance. Pour lui, leur dessein est clair ; il peut presque fixer l’heure de leur départ, la direction qu’ils suivront. Toutes ses mesures sont prises : les premiers à marcher sont désignés, les échelons formés; mais rien n’est démasqué, rien ne fait soupçonner son plan. Il semble toujours engourdi dans son camp retranché, et on ne devine pas comment il en pourra sortir.

Enfin l’ennemi, irrité de cette immobilité, poussé à bout, outrecuidant, aveuglé par une sorte de dépit, comme s’il sentait croître son mépris pour cet adversaire qui n’accepte aucun défi, craignant aussi l’usure stérile des forces, le retour des divisions, des querelles, se décide à, exécuter le dessein qu’il médite depuis longtemps, — se jeter sur une de nos places de l’intérieur, pénétrer au cœur de la France, — et se risque à marcher presque en vue du camp français. M. le Prince, qui le guette, saisit l’instant où les longues et lourdes colonnes se sont étendues, enchevêtrées, couvrant cinq lieues de pays; il fond sur l’arrière-garde, qu’il isole ; d’un seul coup de filet, il a tout tué ou pris, sauf quelques fuyards : six ou sept mille hommes de moins dans la grande armée alliée.

Condé va-t-il se reposer sur des lauriers si rapidement recueillis? Va-t-il retourner à son camp, ou attendre le gros de ses troupes, qui s’avancent en échelons pour le rejoindre? Mais déjà un grand corps de l’armée alliée a fait demi-tour, rétrograde pour secourir ou venger l’arrière-garde. Il approche. Ce sont des