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que vous et mon cousin le duc d’Anguyen vostre fils partiez de Tournay pour vous rendre près de moy, où je remets à vous tesmoingner de bouche la véritable et singulière satisfaction que j’ay des grands et recommandables services que vous et mon dit cousin avez continué de me rendre pendant la campagne[1]. »

Le 2 novembre, après un court repos à Chantilly, M. le Prince gravissait péniblement l’escalier de Saint-Germain. Le Roi, entouré de sa cour, l’attendait au haut du degré. Comme Condé s’excusait de sa lenteur : « Mon cousin, dit Louis XIV en s’avançant, quand on est aussi chargé de lauriers, on ne peut pas marcher vite. »


XII. — RÉSUMÉ DE LA CAMPAGNE DE CONDÉ EN 1674

Nous avons raconté avec quelque développement cette campagne de 1674 en Belgique; c’est la dernière que M. le Prince ait conçue, dirigée dans l’ensemble et dans le détail. Elle ne ressemble à aucune de celles qui l’ont précédée; à notre avis, elle n’est inférieure à aucune.

Elle a été l’objet de vives critiques. On a reproché à Condé de s’être montré morose, lent, indécis, et de n’avoir pas su prévenir le dessein de son adversaire ; de n’avoir pas tiré profit des circonstances pour conquérir des places, — c’était le sentiment du Roi et de son ministre ; — enfin d’avoir commis une grosse erreur tactique en prolongeant inutilement le combat à Seneffe.

S’il n’a pas en effet prévenu les desseins de son adversaire, il les a tous fait échouer après un commencement d’exécution ; lui-même a toujours atteint son but. On parle de lenteur, d’indécision : ce sont les faits qui répondent. Huit jours après avoir pris le commandement, il était à 45 lieues de sa place d’armes, allant chercher en plein pays ennemi, au milieu des alliés qui se concentrent, un gros contingent, — la moitié de ses troupes, — qui se laissait envelopper comme à plaisir. Par sa promptitude, Condé fait rentrer dans le devoir un lieutenant égaré, dégage l’aveugle Bellefonds malgré lui, et, avec la même promptitude, ramène son armée reconstituée sur le terrain qu’il a choisi pour tenir ses adversaires en échec.

Après ce coup de théâtre, la vraie campagne commence; elle est d’abord, elle doit être surtout défensive. En face d’armées très supérieures en nombre, heureusement désunies et imparfaitement commandées, avec des troupes fatiguées, peu disciplinées,

  1. Le Roi à M. le Prince ; Versailles, 21 octobre 1674. A. C.