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avec attention chaque étape dans une carrière dramatique brillamment commencée.

Il faut d’abord signaler les mérites très réels de la pièce, et c’est sur eux que nous aurons plaisir à fixer dès le début l’attention. La critique a été trop sévère au lendemain de la première représentation, déconcertée justement par ce que l’œuvre contenait d’inattendu et par le souci qu’avait eu l’auteur de se renouveler. Pourtant en plus d’un endroit on retrouvait le satirique mordant et le moraliste cinglant. Des silhouettes vivement indiquées, tel bout de dialogue, telle réplique, témoignent que l’auteur n’a pas cessé d’être bien informé de nos ridicules et de nos .manies et renseigné sur nos plus récentes façons de faire le bien — théoriquement — et le mal pratiquement. Mais à peine est-il besoin de féliciter une fois de plus M. Lavedan d’être un homme d’esprit. Et nous lui saurions gré plutôt de s’être tenu en garde contre la tentation d’égayer sa comédie outre mesure ; il a compris qu’il fallait traiter avec gravité un sujet qui en soi n’est pas frivole. De même il a renoncé à la méthode commode et décevante, si en faveur aujourd’hui parmi tous les jeunes auteurs, celle qui consiste à donner pour une pièce de théâtre une série de scènes juxtaposées, reliées à peine par le lien le plus lâche et dont on pourrait à son gré changer l’ordre, augmenter le nombre ou le diminuer. Il y a dans les Deux Noblesses un sujet qui se développe, une pièce qui est bien construite et à laquelle nous ne reprocherons que d’être trop machinée. Le premier acte par exemple, qui est à vrai dire le meilleur, est un acte d’exposition presque excellent, très clair, du dessin le plus net, et après lequel nous étions loin de nous attendre aux inutiles complications où tout à l’heure le drame s’embrouillera. d’un bout à l’autre de la pièce les personnages tiennent le langage qui convient, non point abstrait mais vivant, en rapport avec leur caractère et leur situation, modifié par le désir, par l’intérêt et par la passion. On ne sent pas derrière chacun d’eux l’auteur, et celui-ci a fait un juste effort pour sortir de soi et se dépersonnaliser. Plusieurs scènes ont une incontestable largeur. Les idées y sont discutées, examinées sous tous leurs aspects, et les argumens s’y répondent, non pas comme dans une conférence contradictoire, mais comme dans une conversation animée et dans une ardente controverse. La langue a de la solidité et de l’éclat. Chaque mot, comme on dit, passe la rampe. L’impression qu’on emporte est d’une œuvre qui peut être mal venue, mais qui n’est pas sans vigueur, M. Lavedan, pour l’avoir écrite, se trouvera en possession de ressources nouvelles, plus maître de son art, et capable désormais de s’attaquer aux tâches les plus difficiles. C’est, je pense, l’important.

L’aristocratie, ce qu’elle est, ce qu’elle doit être... telle est l’épigraphe qu’on pourrait mettre à l’ensemble même des ouvrages de M. Lavedan. Le sujet de ses études ne varie pas. Il y revient sans cesse, au