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de travail ? La première condition serait pour cela qu’il y eût dans Paris un assez grand nombre d’ateliers de travail syndiqués les uns avec les autres et ouverts à tous les porteurs de ces bons. Il y aurait en effet quelque ironie à remettre à un mendiant qu’on rencontrerait à cinq heures du soir au bois de Boulogne un bon lui donnant le droit d’aller travailler à Belleville. Si le nombre des ateliers créés était assez grand, pareille entente ne serait pas difficile à établir; elle existe déjà pour les fourneaux. Mais le système en lui-même ne présenterait-il pas quelques inconvéniens ? Ce bon spécial, ce billet à ordre de travail dont le mendiant serait muni, ne lui créerait-il pas à ses propres yeux un droit qu’il réclamerait impérieusement, et si l’atelier auquel il se présenterait ne pouvait pour une raison ou pour une autre le recevoir, si l’atelier était encombré, si le travail y faisait défaut ce jour-là (il faut bien prévoir ces difficultés), des scènes scandaleuses, pourraient se produire. L’expérience de l’avenue de Versailles, celle de la rue Salneuve, ont déjà démontré que l’individu qui se présentait porteur d’un bon donné dans la rue était généralement d’un maniement beaucoup plus difficile, que celui qui se présentait librement pour demander du travail. Mais ce sont là des objections, je le reconnais, assez mesquines, par lesquelles il ne faut pas décourager l’élan de l’opinion publique. Que les ateliers d’assistance par le travail se multiplient donc à Paris ; qu’ils s’entendent et se syndiquent; qu’ils fassent indistinctement honneur aux bons de travail délivrés par leurs souscripteurs respectifs. L’expérience sera intéressante, et si la pratique révèle quelques inconvéniens, elle signalera peut-être en même temps le remède.

Mais ce qu’il ne faudrait pas, ce serait que l’expérience fût tentée dans des conditions qui la conduiraient à un échec certain et qui nuiraient par là même à l’idée de l’assistance par le travail. Or il en serait ainsi si l’on entretenait l’illusion qu’une œuvre d’assistance par le travail puisse être une entreprise industrielle ou peu s’en faut, subvenant elle-même à ses frais. C’est là une erreur absolue sur laquelle le jugement souverain des faits a prononcé. Les comptes de l’œuvre du pasteur Robin, la plus ancienne de toutes, très loyalement publiés, montrent que les produits du travail couvrent à peine de moitié les frais de l’œuvre. Il en est de même de l’atelier de la rue Salneuve, où l’écart est plus considérable encore. Si l’œuvre dirigée par la sœur Saint-Antoine est incontestablement celle qui a obtenu les résultats les plus satisfaisans, ce n’est pas seulement grâce à l’impulsion intelligente qui lui a été donnée; c’est aussi parce que des sommes considérables lui ont été fournies au début, qui l’ont déchargée de toute la portion afférente dans une entreprise industrielle aux