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Le 29 août, M. de Saint-Clas[1], « estant allé en party et s’estant approché des ennemys près de Quiévrain », fut atteint grièvement de trois coups de pistolet; on le porta dans un château du voisinage, où il languit quelques jours. Le 7 septembre, M. le Prince annonçait sa mort à Louvois : « C’est une très grande perte pour le roy; quant à moy, je le plains extrêmement, et j’en suis affligé au dernier point[2]. » Sans relâche dans sa vigilance, aussi adroit qu’audacieux, Saint-Clas n’avait point d’égal pour mener la cavalerie légère, reconnaître, tâter l’ennemi, le contraindre à se montrer. Voyant toujours clair et juste, il ne laissait jamais son général sans nouvelles, et ses renseignemens étaient si exacts que M. le Prince s’y fiait aveuglément. Son rôle fut grand au jour de la bataille; c’est lui qui, commandant la grand’garde, découvrit le 11 août, à travers la brume du matin, les coalisés en marche; c’est encore lui qui, repartant aussitôt avec ses dragons, trouva moyen d’amuser les Impériaux et les empêcha de songer à secourir leur arrière -garde. Salut à ce héros ignoré, que la mort arrêta sur le chemin de la gloire, victime de son infatigable dévouement! Condé fit son oraison funèbre : « C’est la plus grande perte du monde. »

Rapports d’éclaireurs ou d’espions, avis envoyés d’Avesnes ou d’ailleurs, tous les renseignemens sont d’accord : il faut s’attendre à une entreprise importante et prochaine. M. le Prince a toutes ses troupes dans la main, prêtes à marcher ; il épie l’heure pour s’approcher des ennemis au moment où leur dessein sera prononcé. Bientôt le champ des hypothèses se rétrécit. Les alliés, après avoir marqué un mouvement dans la direction de Valenciennes, repassent rapidement la Haine. En veulent-ils à Ath sur la Dender, ou à Audenarde sur l’Escaut? Ces deux places sont seules menacées ; Condé fera en sorte de secourir l’une ou l’autre. Il va marcher, et donne rendez-vous à d’Humières, qui sortira de Lille renforcé : les garnisons de la Flandre maritime ont ordre d’envoyer leur cavalerie au maréchal ; il sera aussi rejoint par divers corps venant de l’arrière, bataillon des Gardes françaises, compagnies des mousquetaires, etc., près de huit mille hommes.

Les craintes de la cour étaient pour Ath. Le Roi avait prescrit d’y renvoyer M. de Rannes et le parti que déjà M. le Prince avait jeté dans Audenarde. L’ordre arriva trop tard. Mais voici un bien autre embarras : c’est un plan qui émane de haut, présenté ou plutôt repris in extremis, jeté en quelque sorte à la traverse au

  1. Jean-Louis de Genouillac, sieur de Saint-Clas, brigadier de cavalerie.
  2. Minute originale. A. C.